Novembre, décembre!
Parmi la vaste filmographie d’Akerman, il y a quelques objets que nous avions laissés de côté et que nous nous sommes finalement décidés à monter. Il y a TOUTE UNE NUIT (1982), qui nous a donné l’opportunité de lire et relire Serge Daney:
« De quoi s’agit-il? Akerman imagine qu’une nuit, à Bruxelles (reconnaissable dès le premier plan à la cathédrale Sainte-Gudule), il fait très chaud. Pire: il fait moite. Une de ces nuits d’été qui a le grain du seize millimètres et l’indiscrétion du son direct. A l’heure où ils devraient se coucher, un grand nombre d’hommes et de femmes belges ont le comportement étrange que l’on prête habituellement aux personnages d’un film de SF, deux heures moins le quart avant l’arrivée des effets spéciaux. Il leur sera difficile de dormir et encore plus de dormir seuls. La ville est un boucan de sons hypertrophiés, les cafés répugnent à fermer, un tube italien (L’amore, sat) lancine pour de bon.»
Il y a aussi UN JOUR PINA M’ A DEMANDÉ (1983), trace assez extraordinaire de ce qui a pu s’expérimenter dans la compagnie de Pina Bausch.
En novembre, on rebranche le cycle cinéma(s) et psychiatrie(s). Sixième chapitre, rendu possible par la complicité de l’ami de Vincent De Roguin, qui nous a mis sur le chemin de ces films. Des choses, dont on n'avait jamais jamais jamais entendu parler. Des choses presque jamais montrées dans notre région alors qu’il s’agit de plus d’une dizaine de films fabriqués tout près, à Lausanne, dans l'hôpital psychiatrique de Cery. Les auteurs et autrices de ces films, ce sont certains patients de l'hôpital, qui se sont réunis en collectif (Groupe cinématographique des patients de Cery). Cette tentative a été menée entre 1959 et 1981, sous l'impulsion notamment du cinéaste vaudois Nag Ansorge, qui a accompagné ce processus de création. Ces films, ce sont des cadeaux, qui nous laissent avec cette merveilleuse sensation: que ce monde, notre monde, est infiniment plus grand, peuplé et riche que ce que la société nous fait voir.
En novembre, c’est l’occasion d’une rencontre qu’on rêve depuis longtemps. Avec Léa Morin, à qui on doit beaucoup et nombreux films projetés jusqu’ici. Léa Morin est une chercheuse-passeuse. Elle réédite des textes, restaure des films oubliés, remobilise des cinéastes ignoré.x.e.s. Ses recherches s’orientent vers un cinéma en lutte, un cinéma de décolonisation, un cinéma “contre les récits et modèles autoritaires (coloniaux, étatiques, capitalistes, patriarcaux)”. Nous souhaitions lui donner carte blanche et elle a imaginé une belle constellation de films, au titre assez long: ÉDITER, RESTAURER, ARCHIVER. DU PAPIER, DE L’ENCRE, DE LA PELLICULE ET DES BOÎTES. PRENDRE SOIN DES RÉCITS MULTIPLES ET ABÎMÉS DU CINÉMA. Parmi les voies explorées par Léa dans ce programme, il y aura notamment tout un pan sur le cinéma algérien et tunisien des années 70. L’occasion joyeuse aussi de tisser avec la librairie La Dispersion pour une rencontre avec Wassyla Tamzali, autrice algérienne, qui a dans son livre EN ATTENDANT OMAR GATLATO a creusé, entre autres, l’histoire de la cinémathèque d’Alger dans ses débuts.
Dans la continuité de ce qui se tramera avec Léa Morin, il y aura également un cycle consacré au travail de Rabah Aimeur-Zaïmeche, qu’on organise avec Erika Nieva Cunha. Voici les mots d’Erika à propos de son dernier film.
« - C’est toujours le pétrole.
Après l’avoir vu, impossible de ne pas proposer LE GANG DES BOIS DU TEMPLE de RABAH AMEUR-ZAIMECHE au Spoutnik en ces temps d’apocalypse où toute forme de paix, et surtout de justice semble impossible. Impossible d’écrire ce mini-édito sans penser à la Palestine et à ce que vivent les gazaouis en ce moment-même. Palestine vaincra. Le dernier film de Rabah Ameur-Zaimeche n’est pas un film sur la libération de la Palestine mais c’est bel et bien un film sur l’amour, la fraternité, l’engagement, la fierté, la débrouille, la lutte des classes, la vengeance aussi. Eclairés par les lumières de la ville façon film néo-noir américain, la tragédie rejouée dans LE GANG est vieille comme le monde: les possédants contre les dépossédés. Et comme on avait déjà beaucoup aimé les autres films de RAZ on s’est dit qu’on allait (presque) tous les montrer.»
Rabah est franco-algérien, a grandi à la cité des bosquets, à Montfermeil, où il a monté sa propre structure de production et réalise en 2002 son premier film WESH WESH, QU’EST-CE QUI SE PASSE ? Depuis, Rabah continue de semer des films - toujours dans cette même structure - au rythme d’une fois tous les trois ans. La méthode RAZ, c’est déjà d’avoir trouvé sa troupe d’acteur.ice.s, qui semblent pour la plupart issu.e.s des quartiers populaires, dont on ne sait pas très bien s’ils sont amateurs ou professionnels. Une sorte de bande de fidèles, qu’on ne voit - presque - nulle part ailleurs que dans son cinéma, film après film. La méthode RAZ, c’est aussi de se mettre en scène lui-même (à l’exception des deux derniers films). La méthode RAZ, c’est encore de ne jamais faire l’économie du réel, c'est-à-dire de prendre la mesure de toute la brutalité de la société: la police dans WESH WESH, le racisme, les fondamentalismes, la misère au bled, l’exploitation de l’homme par l’homme. Alors, à quel endroit se mettre face à tout cela et comment résister? La réponse - cinématographique - se traduit dans un mélange, assez merveilleux, de rudesse et de douceur. La rudesse, c’est ce vers quoi te pousse irrémédiablement le réel: la vengeance, la prise des armes, la tentation de l’assimilation ou de l’ascension sociale. Au milieu de cela, Rabah campe des personnages qui, tout en se heurtant à ce tragique, s’essaient à fabriquer d’autres récits. Des histoires de sages, de guides bienveillants, remplis d’attention et de douceur envers l’humanité mais aussi la nature.
AH ! ET OH ! JOIE ! RAZZZZ SERA LÀ LE 8 DÉCEMBRE !
Ce qui frappe en voyant les films de Rabah, c’est le voisinage évident avec le cinéma de Jean-Marie Straub et Danièle Huillet. Dernière occasion ce mois-ci de rencontrer leur travail avec une série de courts-métrages.
On renoue également avec la carte blanche à Erika Nieva Cunha. Cette fois, cela prendra la forme d'une discussion participative autour d’une enquête sur le procès des policiers qui ont tué Mike Ben Peter. Réflexion collective animée par le collectif Enquête Critique: un réseau et une plateforme de recherche en sciences sociales autogérée, collective et autonome.
Il y a BONGO JOE qui viendra fêter ses 10 ans au Spoutnik, pour un ciné-concert par Ventre de Biche.Nous avons aussi imaginé une collaboration avec la Fanzinothèque genevoise, qui a pris ses quartiers dans les murs de l’Usine, autour du film FANZINAT, réalisé par Laure Bessi, Guillaume Gwardeath et Jean-Philippe Putaud-Michalski
Enfin, moment important et nécessaire, au vu du drame qui se joue à Gaza, la venue, à la fin du mois, des rencontres Palestine Filmer C’est Exister.
Et et et, en toute fin de saison, fin de notre travail au spoutnix, on aura la joie d’organiser quelques journées-soirées avec toute une foule de camarades marseillai.x.se.s énervé.x.e.s du cinéma!