1969 - 1983: SIX MÉLODRAMES AFRO-AMÉRICAINS

Que faire face à la violence politique? Commencer peut-être par se raconter.
C’est ce à quoi se sont consacré.e.s plusieurs cinéastes afro-américain.e.s entre les années 70 et 80. Leurs films – SEVERAL FRIENDS (1969), THE HORSE (1973), KILLER SHEEP (1978) et MY BROTHER’S WEDDING (1983) de Charles Burnett, LOSING GROUND (1982) de Kathleen Collins et BLESS THEIR LITTLE HEARTS (1983) de Billy Woodberry – viennent après les émeutes, après Martin Luther King, après Malcolm X, après les Black Panthers. Dès lors, le travail de ces cinéastes n’a pas été d’enregistrer l’insurrection mais de recourir à la fiction pour documenter la condition de vie des leurs dans les ghettos. Si dans ces films, le Blanc et la police sont éliminés du champs visuel, il n’en reste pas moins que les tensions sont vives à l’intérieur de la communauté. Tensions car le chômage ronge le quartier et que derrière, tout se fragilise: l’amour, la famille, l’amitié. Ainsi, ces situations tragiques trouvent écho dans la forme même des films, à savoir des mélodrames qui, s’ils sont chargés d’affect, n’abandonnent jamais une rigueur d’observation sociologique.




KILLER OF SHEEP + SEVERAL FRIENDS de Charles Burnett

1969 - 1983: SIX MÉLODRAMES AFRO-AMÉRICAINS


Dans le ghetto de Watts, le mélancolique Stan, employé des abattoirs, défend sa dignité. Chronique des jours d’une famille hantée par le souvenir du Sud natal, et balade délicatement élégiaque et tendrement ironique d’une communauté, du monde des enfants, des combines des voyous petits ou grands, de la force et de la malice des femmes. Les musiques du film, « histoire sonore de la musique populaire afro-américaine » accompagnent et commentent la recherche de la vérité des vies, et de la vérité intérieure des personnes. Tourné en quelques week-ends et pour quelques milliers de dollars, le film (présenté par Charles Burnett comme film de fin d’études à UCLA) n’a pu être distribué aux États-Unis qu’à partir de 2007.

MY BROTHER’S WEDDING + THE HORSE de Charles Burnett

1969 - 1983: SIX MÉLODRAMES AFRO-AMÉRICAINS


Un jeune homme dans le quartier pauvre de Watts, à Los Angeles, travaille avec ses parents, propriétaires d’une laverie. Il apprend que le mariage de son frère, avocat, a lieu le même jour que les obsèques de son meilleur ami, tué après sa sortie de prison. Une tragi-comédie, mais aussi un portrait de la communauté afro-américaine du sud de Los Angeles.

LOSING GROUND de Kathleen Collins

1969 - 1983: SIX MÉLODRAMES AFRO-AMÉRICAINS


La première qualité de Losing Ground est son écriture, d’une dialectique fine mais directe, autour d’une intellectuelle, professeur d’université, écrasée par son mari artiste et par sa mère. Dépassant les dialectiques raciales attendues, le film cible violemment le mépris de l’artiste mâle égocentrique, qu’il soit noir ou blanc. Le beau mouvement de ce film féministe est de trouver une porte de sortie à partir de son métier même : elle rédige une thèse sur la question de l’extase. Dans un dialogue magnifique, elle prend conscience qu’elle aussi connaît des moments d’extase, dans son travail de chercheuse, et qu’elle aussi sait quitter terre (« losing ground »). Cette reconnaissance de l’extase intellectuelle est d’une profondeur rare, et on ressent de la gratitude envers Kathleen Collins d’avoir accordé place à ce pouvoir des idées. SD

BLESS THEIR LITTLE HEARTS de Billy Woodberry

1969 - 1983: SIX MÉLODRAMES AFRO-AMÉRICAINS


Écrit et photographié par Charles Burnett, le premier long métrage de Billy Woodberry, autre pilier du mouvement LA Rebellion (il a collaboré aux premiers films de Alile Sharon Larkin et fait l’acteur chez Hailé Gerima), Bless Their Little Hearts constate, sept ans après Killer of Sheep, les mêmes ravages causés par le chômage dans le quartier de Watts, laissée exsangue après les émeutes de 1965. Le film de Charles Burnett mettait en scène la déliquescence d’une famille mais l’énergie des enfants faisait encore espérer. Chez Billy Woodberry, les enfants ont interrompu leur course et se sont tus : ils forment le chœur muet d’une lente catastrophe incarnée par un couple qui sombre sans pouvoir se rattacher à rien. Le film épouse le rythme d’une complainte chantée en mineur.