Mai 2023


Le mois passé, on s’est vu découvrir le cinéma de Binka Jeliazkova. Ce nom, il ne nous évoquait rien jusque-là. Mais l’actualité veut que son nom resurgisse maintenant. Alors, simplement, on prend la balle au rebond. Il y a sans doute là quelque chose à interroger, quand on sait que la cinéaste a subi toutes les censures possibles. Son cinéma est ainsi resté invisible pendant plus de quarante ans. Puis, un festival, un distributeur, quelques articles, quelques salles de cinéma et là voilà réhabilitée en quelques semaines. On se demande donc de quoi est faite cette redécouverte? Est-ce que ce sont des considérations politiques, économiques, cinéphiliques ou historiques qui rendent cela possible ? Ces questions, on se les pose très régulièrement sans très bien savoir quoi faire avec. En attendant d’y répondre ou non, on a choisi d’avancer malgré tout avec les films de Binka Jeliazkova et de vous les montrer, car on les trouve magnifiques.

 

Binka est bulgare, née en 1923. Lycéenne, elle prend part à la résistance antifasciste auprès de la Ligue de la jeunesse ouvrière. C’est par et avec cette expérience de lutte collective qu’elle fabrique ses premiers films. Ainsi, NOUS ÉTIONS JEUNES (1961) dans lequel un groupuscule de jeunes résistant.e.s durant la seconde guerre mondiale organise un attentat contre l'occupant nazi. Ce qui intéresse Binka, c’est ce qui précède et succède le passage à l’acte. Quel type de lien entre nous faut-il pour y arriver? Quels affects mettre en jeu? Comment se faire ou nous faire confiance? La cinéaste semble nous dire que la lutte c’est d’abord une histoire de relations humaines et c’est cela que le film sonde en profondeur. Quelques années plus tard, elle réalise LE BALLON ATTACHÉ (1967) et campe cette fois-ci sa caméra du côté de la province et de ses paysans et paysannes. On y trouve certains traits grotesques et bordéliques propres aux fables paysannes: merveilleux chaos de visages burinés, de hurlements, d'insultes, de danses et d’animaux qui parlent. Dans le ciel de leur village, un immense ballon vient perturber le déroulement de leur vie. À partir de là, le film devient l'observatoire critique d’une humanité corrompue, rongée par l’argent et simplement incapable de composer avec cette nouvelle présence.

 

En mai, il y aura aussi LE ROI DAVID, moyen-métrage de Lila Pinell qui prolonge certains films qu’on a montrés ici, notamment CA BRÛLE de Lola Quivoron ou ceux de Rayane Mcirdi. Ces films, on pourrait dire qu’ils composent une sorte d’histoire de la galère en France. La galère entendue comme ce qu’elle fait aux corps et aux imaginaires. Ici, c’est Shana, la vingtaine, sans boulot et le cœur éclaté par une rupture amoureuse. De là, il y a des tentatives d’insertion de la part de Shana, mais il ne suffit pas de “traverser la route pour trouver du boulot” pour reprendre les termes de Macron. Cet état de fait, le film le reconnaît et ne fait ainsi pas croire à l’ascenseur social ni même n’invente des solutions qui n’existeraient pas. Sans misérabilisme aucun, le film se tient simplement près de son personnage et de ses moyens. Et cela suffit pour restituer la dignité de Shana et de la mettre à l’égale de nous tou.x.t.es.

 

Puis, on continuera d’ouvrir cette fenêtre sur les liens entre la psychiatrie et le cinéma. Au fond du terrain de la Clinique de La Borde, il y a une écrivaine, Marie Depussé, qui est restée là, dans une cabane, pendant des décennies et qui a activement participé à la vie du lieu. Rachel Bénitah a lu ses livres et a souhaité aller à sa rencontre. Ainsi ce film, VIVANTE À CE JOUR (2011). Plus qu’un simple portrait, il est question ici de montrer la littérature au travail, comment elle est partagée et comment elle relève aussi du soin accordé aux usagers et usagères du lieu. Alors, on a un aperçu de ce à quoi ont ressemblé les séminaires - si on peut les appeler comme ça - qu’a donné Marie Depussé à La Borde. À savoir que la mise en circulation d’un texte entre nous toutes et tous - qui qu’on soit - est un moyen possible de former un corps/chœur collectif (on se tient ensemble autour d’une table et ça fait du bien). À condition bien sûr de se donner beaucoup de temps. Cela, le film le laisse très bien sentir. Qu’au fond, à La Borde, il y a une certaine attention au temps, à l’attente et à la patience pour que la rencontre puisse advenir.

 

Et, paaaf, autre fenêtre sur la psychiatrie. Avec un film qui s’est lui aussi retrouvé au fond du puits pendant quarante ans, sans que là non plus on ne comprenne pourquoi et comment cela est arrivé. Ce film, c’est POTO ET CABENGO (1978) de Jean-Pierre Gorin. Et Jean-Pierre Gorin, ça a été le camarade de Jean-Luc Godard pour les films qu’ils ont tourné ensemble sous la bannière Dziga Vertov. Leur histoire a mal fini et Gorin s’en est allé aux États-Unis, enseigner et filmer en solitaire, sans rien abandonner du caractère politique, incisif et burlesque à l'œuvre dans son travail avec Godard. POTO ET CABENGO, c’est le nom que se donnent deux sœurs jumelles, Grace et Virginia Kennedy. Grace et Virginia communiquent entre elles avec des mots que leurs parents ne comprennent pas. Les linguistes s’en mêlent. Les psychiatres s’en mêlent. Les logopédistes s’en mêlent. La presse s’en mêle. La télévision s’en mêle. Chacun y va de son explication et tout ce beau monde, soit, célèbre l’invention d’une nouvelle langue, soit, se préoccupe de la reconduction vers la norme de ces deux gamines. Gorin, lui, confronte, monte, démonte tous ces discours. À côté de cela, il mène l’enquête auprès de la famille. La mère, exilée d’Allemagne. Le père, gérant immobilier. Tous deux rêvant de faire fortune en Californie. Mais surtout, il filme les deux sœurs débordant du cadre, les emmène à la bibliothèque ou au zoo. En contraste de ce qu’il vit et traverse avec elles, les adultes autour se ridiculisent et c’est tout le mythe américain qui se décompose sous nos yeux. Une fois l’Amérique à terre, on peut peut-être reconstruire quelque chose autour des jeux de mots de Grace et Virginia.

 

Et, et. En début de mois, le mercredi 3, on reçoit la visite du Labo L’Argent, un lieu de fabrication et d’échange autour du cinéma argentique qui a vu le jour au printemps 2020 au cœur de Marseille. On a des amis qui bricolent là-bas alors on est simplement heureux de les voir arriver avec une série de bobines qu’on ne connaît pas.

 

Et, et, et le vendredi 5 mai, on a la joie d’accueillir Les rencontres critiques de l’enfermement pour une table ronde. Cet espace d’analyse et de délégitimation de l’enfermement au sens large, on a souhaité le prolonger avec ATTICA de Cinda Firestone, film déjà montré au Spoutnik en 2021 et qu’on trouve important vis à vis du sujet anti-carcéral.

 

Et, et, et, et. La malheureuse annulation d’une séance du magnifique DE CIERTA MANERA en avril nous encourage à le montrer une nouvelle fois. Jeudi 18 mai! (Voilà, c’est tout pour ça.)

 

Et, et, et, et, et. À la fin du mois, c’est le retour des Brasiers, la carte blanche à Erika. Elle a choisi O SANGUE de Pedro Costa. Pedro Costa, c’est aussi un compagnon de route de Danièle Huillet et Jean-Marie Straub. Alors, on saisit la main tendue par Erika pour montrer OÙ GÎT VOTRE SOURIRE ENFOUI ?, documentaire réalisé par Costa dans une salle de classe de l’école de cinéma le Fresnoy. Dans cette salle, Danièle et Jean-Marie montent une troisième version de SICILIA !. Se donne alors à voir et à écouter leur façon de travailler et il y a là quelque chose de bouleversant. Ça va donc sans dire qu’on continue ce mois-ci l’internationale Huillet-Straub avec ANTIGONE (1991), d’après Sophocle, Hölderlin et Brecht.

 

Enfin, les beaux mots d’Erika à propos de Pedro Costa:

 

Et les films de Costa c’est des soulèvements, Ossos, Clotilde, Tina, le père, des bouleversements qui vous remuent pour longtemps, dans la chambre de Vanda avec Vanda, Zita, Lena. Des images, des sons, des couleurs, des mots qui n’en finissent pas de défiler dans l’arrière-tête, Ventura, Vitalina, Casa de Lava. Des films qui nous habitent, nous occupent, nous bataillent. Des films comme des tentatives de réconciliation avec le monde, peut-être, aussi. Des mains aux ongles noirs qui se serrent, des visages énigmatiques comme éclairés de l’intérieur, des rues qui nous font sentir l’épaisseur de l’obscurité, des personnages mi-fantomatiques mi-vampires qui lèvent le voile sur cette nuit sombre et complotent sur un futur hypothétique. Des bande-son fabriqués à partir de la vie elle-même et qui donnent à entendre la puissance et la fragilité des mystères de la vie. Tom et Nathan



NOUS ÉTIONS JEUNES

2 films de Binka Jeliazkova


Des jeunes gens ordinaires, qui appartiennent à la ligue de la jeunesse ouvrière, organisent un commando de résistants contre les forces nazies. Alors que les préparatifs d’un attentat se précisent, Veska, qui vient d’intégrer le groupe, et Dimo s’attirent mutuellement. Mais l’étau se resserre autour de leur groupe. Comment protéger son innocence et sa capacité d’aimer dans une situation où chaque instant, chaque geste, chaque regard peut vous perdre ?

LE BALLON ATTACHÉ

Deux films de Binka Jeliazkova


Un gros ballon volant arrive au-dessus d’un village et attire l’attention des paysans. D’abord effrayés par cet objet apparemment venu de nulle part, ils sont bientôt fascinés par sa beauté et une enviable liberté de mouvement. Et ils projettent bientôt sur lui tous les fantasmes, attentes et espérances que des vies dans le dénuement peuvent susciter… Ils décident de le suivre et de le capturer, mais le ballon s’avère indocile…

OH LA VISITE DES AMI.X.ES DU LABO L’ARGENT-MARSEILLE<3


En début de mois, le mercredi 3, on reçoit la visite du Labo L’Argent, un lieu de fabrication et d’échange autour du cinéma argentique qui a vu le jour au printemps 2020 au cœur de Marseille. On a des amis qui bricolent là-bas alors on est simplement heureux de les voir arriver avec une série de bobines qu’on ne connaît pas.

LES PRISONS SUISSES : DE LA CRITIQUE À L’ABOLITION

rencontres critiques de l’enfermement: table ronde


D’inspiration abolitionniste, les Rencontres Critiques de l’Enfermement sont pensées comme un espace d’analyse et de délégitimation de l’enfermement au sens large. La journée d’étude, à l’Université de Genève, permet de dresser un état des lieux de la recherche académique sur l’enfermement en Suisse et d’encourager la collaboration interdisciplinaire et le partage des savoirs. La table ronde, au cinéma Spoutnik, clôture cette première édition des Rencontres. Elle offre l’occasion de croiser les perspectives critiques de personnes concernées avec celles des milieux académique et associatif pour nourrir le dialogue avec le grand public.

ATTICA de Cinda Firestone

soirée anti-carcérale


«En septembre 1971 et à la suite de l’assassinat d’un militant Black Panther dans une prison californienne, les détenus de la prison d’Attica (New York) organisent une mutinerie qui se solde par l’occupation de la cour du bâtiment D de la prison et la prise en otage de 42 gardiens. Les détenus produisent une liste de revendications, mais après quatre jours de négociations la police prend d’assaut la prison, faisant une quarantaine de morts dont une dizaine de gardiens. Le film de Cinda Firestone rassemble une grande partie des archives visuelles produites pendant la mutinerie et tente de démonter le récit policier mis en scène lors d’un simulacre de procès qui prit fin en 1973 et où aucun des policiers ayant pris part à la tuerie ne fut condamné».

LE ROI DAVID de Lila Pinell

Sortie


LE ROI DAVID, Lila Pinell, France, 2021, 41′, vo français Shana cherche du travail, elle a besoin d’argent pour quitter la France et ses mauvaises fréquentations. Mais le passé qu’elle cherche à oublier n’est jamais loin. Et d’ailleurs, veut-elle vraiment l’oublier ? En mai, il y aura aussi LE ROI DAVID, moyen-métrage de Lila Pinell … Continued

VIVANTE À CE JOUR de Rachel Bénitah

À QUELLE HEURE PASSE LE TRAIN? RENCONTRES CINÉMA(S) ET PSYCHIATRIE(S) CHAPITRE 3: UNE AUTRE FENÊTRE SUR LA BORDE


On continuera d’ouvrir cette fenêtre sur les liens entre la psychiatrie et le cinéma. Au fond du terrain de la Clinique de La Borde, il y a une écrivaine, Marie Depussé, qui est restée là, dans une cabane, pendant des décennies et qui a activement participé à la vie du lieu. Rachel Bénitah a lu ses livres et a souhaité aller à sa rencontre. Ainsi ce film, VIVANTE À CE JOUR (2011). Plus qu’un simple portrait, il est question ici de montrer la littérature au travail, comment elle est partagée et comment elle relève aussi du soin accordé aux usagers et usagères du lieu. Alors, on a un aperçu de ce à quoi ont ressemblé les séminaires - si on peut les appeler comme ça - qu’a donné Marie Depussé à La Borde. À savoir que la mise en circulation d’un texte entre nous toutes et tous - qui qu’on soit - est un moyen possible de former un corps/chœur collectif (on se tient ensemble autour d’une table et ça fait du bien). À condition bien sûr de se donner beaucoup de temps. Cela, le film le laisse très bien sentir. Qu’au fond, à La Borde, il y a une certaine attention au temps, à l’attente et à la patience pour que la rencontre puisse advenir. Tom et Nathan

POTO ET CABENGO de Jean-Pierre Gorin

À QUELLE HEURE PASSE LE TRAIN? RENCONTRES CINÉMA(S) ET PSYCHIATRIE(S)


Et, paaaf, autre fenêtre sur la psychiatrie. Avec un film qui s’est lui aussi retrouvé au fond du puits pendant quarante ans, sans que là non plus on ne comprenne pourquoi et comment cela est arrivé. Ce film, c’est POTO ET CABENGO (1978) de Jean-Pierre Gorin. Et Jean-Pierre Gorin, ça a été le camarade de Jean-Luc Godard pour les films qu’ils ont tourné ensemble sous la bannière Dziga Vertov. Leur histoire a mal fini et Gorin s’en est allé aux États-Unis, enseigner et filmer en solitaire, sans rien abandonner du caractère politique, incisif et burlesque à l'œuvre dans son travail avec Godard. POTO ET CABENGO, c’est le nom que se donnent deux sœurs jumelles, Grace et Virginia Kennedy. Grace et Virginia communiquent entre elles avec des mots que leurs parents ne comprennent pas. Les linguistes s’en mêlent. Les psychiatres s’en mêlent. Les logopédistes s’en mêlent. La presse s’en mêle. La télévision s’en mêle. Chacun y va de son explication et tout ce beau monde, soit, célèbre l’invention d’une nouvelle langue, soit, se préoccupe de la reconduction vers la norme de ces deux gamines. Gorin, lui, confronte, monte, démonte tous ces discours. À côté de cela, il mène l’enquête auprès de la famille. La mère, exilée d’Allemagne. Le père, gérant immobilier. Tous deux rêvant de faire fortune en Californie. Mais surtout, il filme les deux sœurs débordant du cadre, les emmène à la bibliothèque ou au zoo. En contraste de ce qu’il vit et traverse avec elles, les adultes autour se ridiculisent et c’est tout le mythe américain qui se décompose sous nos yeux. Une fois l’Amérique à terre, on peut peut-être reconstruire quelque chose autour des jeux de mots de Grace et Virginia. Tom et Nathan

O SANGUE de Pedro Costa

BRASIER # 5 CARTE BLANCHE À ERIKA NIEVA CUNHA


Brasiers#5 c’est O SANGUE de Pedro Costa. Et les films de Costa c’est des soulèvements, Ossos, Clotilde, Tina, le père, des bouleversements qui vous remuent pour longtemps, dans la chambre de Vanda avec Vanda, Zita, Lena. Des images, des sons, des couleurs, des mots qui n’en finissent pas de défiler dans l’arrière-tête, Ventura, Vitalina, Casa de Lava. Des films qui nous habitent, nous occupent, nous bataillent. Des films comme des tentatives de réconciliation avec le monde, peut-être, aussi. Des mains aux ongles noirs qui se serrent, des visages énigmatiques comme éclairés de l’intérieur, des rues qui nous font sentir l’épaisseur de l’obscurité, des personnages mi-fantomatiques mi-vampires qui lèvent le voile sur cette nuit sombre et complotent sur un futur hypothétique. Des bande-son fabriqués à partir de la vie elle-même et qui donnent à entendre la puissance et la fragilité des mystères de la vie. Tourné en 1989, en noir et blanc, O SANGUE, LE SANG en français est le premier film du réalisateur portugais. Je crois qu’il s’agit d’une disparition, d’une histoire entre trois jeunes amis dans la banlieue de Lisbonne. Mais la vérité c’est que je ne l’ai pas vu encore ce film-là. C’est une surprise. Ça sonne un peu comme une promesse, il y a beaucoup de désir à découvrir un film que l’on a pas encore vu, d’un réalisateur dont le travail a été fondamental. Il y aurait énormément à dire encore, sur la filmographie de Costa, beaucoup de choses ont déjà été écrites, on en parlera lors de la projection pour celles que ça intéresse. Je vous laisse avec une punchline qui m’a beaucoup marqué et qui sonne comme une nécessité: c’est Pedro Costa citant Antonio Reis, « Il faut risquer sa vie à chaque plan ».

OÙ GÎT VOTRE SOURIRE ENFOUI ? – JEAN-MARIE STRAUB ET DANIÈLE HUILLET de Pedro Costa

L'international Huillet-Straub


Jean-Marie Straub et Danièle Huillet commentent leur dix-huitième film Sicilia ! devant des étudiants. Une leçon de cinéma. Pedro Costa a choisi de filmer Danièle Huillet et Jean-Marie Straub dans le cadre d'un atelier qu'ils ont animé à l'automne dernier au Fresnoy, près de Tourcoing, dans le tout jeune Studio national des arts contemporains. Danièle Huillet est aux manettes. Jean-Marie Straub arpente la salle de montage. Tous deux discutent et commentent, dans un va-et-vient constant entre théorie et artisanat, le travail méticuleux qu'ils sont en train d'opérer sur trois ou quatre séquences de Sicilia ! S'agissant des Straub, filmer le travail ne suffit pas. Il est tout aussi nécessaire de savoir quelle pensée structure ce travail, quelles hésitations le rythment. C'est dans le dialogue qu'ils ont devant les étudiants que cette pensée et ces hésitations se disent le plus directement.

ANTIGONE

l'international Huillet-Straub


Un jour de 1973, une rencontre avec un lieu a eu lieu, elle était imprévisible : les ruines antiques de Ségeste en Sicile. Son théâtre de plus de 2.000 ans est le site qui, 18 ans plus tard, a accueilli un bloc de textes et de contextes, antiquité gréco-romaine, romantisme allemand contemporain de la Révolution française et début de la Guerre froide, qui a gardé intact le secret d'une décision authentique, valable pour tous les temps. Antigone d'après la pièce de Sophocle, la traduction de Hölderlin et la mise en scène de Brecht est devenu le film dédié aux peuples opprimés par la raison d'État, ainsi qu'à ceux qui osent dire non en sachant qu'il y a dans toute décision un courage qui est folie, un fond d'indécidable qui est abîme. Son danger est ce qu'il faut pourtant tenter quand la justice ne se confond plus avec le droit qui la trahit.