Godard est mort et cela nous a rendu tristes. Puis, on a vu, lu et entendu les multiples tentatives de récupération. On a pris peur. Qu’on essaie même de voler Godard. Alors, avant le flux de rétrospectives qui vont embouteiller les cinémathèques du monde entier, on voulait faire une chose, rien de bien grand, petite fête un dimanche et un lundi. Rentrer dans Godard par la comédie et penser à d’autres guignols du cinéma. Soit
VLADIMIR ET ROSA, réalisé en 1970 avec Jean-Pierre Gorin et signé sous le nom de Groupe Dziga Vertov. Massivement détesté par la critique, rejeté par les avant-gardes marxistes et probablement peu vu jusqu’à maintenant, ce film - parodie du procès des huit de Chicago - pose une question qui nous travaille en longueur et en largeur : Comment s’adresser à n’importe qui sans rien renier de ses positions politiques et théoriques ? Et y répond de manière assez passionnante: faire de la philosophie au milieu des cochons, transformer la théorie marxiste en sketch, ridiculiser aussi bien les autorités que soi-même, en somme partir de l'idiotie pour mieux interroger la société.
Voir
VLADIMIR ET ROSA, c’est aussi penser aux Marx Brothers, autre bande d’emmerdeurs, arrivés dans les années 20 à Hollywood pour tout saccager. On a le plaisir spontané de montrer un de leurs films,
LA SOUPE AU CANARD.
Le geste burlesque se poursuivra avec
les films de Jean Fléchet. Fléchet, c’est la grande bricole, la recherche d’un cinéma brut, en dehors des villes, profondément inscrit dans le territoire occitan. On y croise des rossignols, des ours, des oies, des pélicans, des personnages excessifs, bouffeurs de saucisses et de spaghettis, des jeunes en rupture et des vieux sages. Il y aussi cette tentative de rassembler les genres et les formes pour éliminer le clivage qui sépare le cinéma expérimental du cinéma populaire: collages, images animées, comique clownesque, poésie, réflexions politiques, conte initiatique et expérimentations sonores. Ainsi, grande joie de projeter quatre de ses films:
LA SARTAN, LA FAM DE MACHOUGAS, L’ORSALHER et LE TRAITÉ DU ROSSIGNOL. Mais encore, Fléchet avait le souci de l’adresse et des conditions de circulation de ses films. Alors, il a imaginé montrer ses bobines sur les routes du Vaucluse: une camionnette, un projecteur, “l’aventure d’un tourneur de village”. Manière aussi de résister au colonialisme intérieur (la répression des cultures et langues provinciales par le pouvoir central) et de prendre la voie de l’autonomie pour se tenir près du peuple occitan.
Ce sont sans doute des questions identitaires qui se jouent-là, peut-être les mêmes qui ont traversé certains cinéastes marocains à la fin des années 60: Qui sommes-nous au fond ? Comment nous représenter ? En héros, comme dans les films des blancs ? Quoi raconter quand on nous a confisqué notre histoire ? Réponses: Fuck Universal Studios,
(re)partir de la rue, des bars et cafés populaires de Casablanca et surtout du tas de questions et de doutes qui sommeillent. Ainsi,
DE QUELQUES ÉVÉNEMENTS SANS SIGNIFICATION et TITRE PROVISOIRE de Mostafa Derkaoui, deux films de psychanalyse collective à ciel ouvert magnifiquement bordéliques. La méthode Derkaoui c’est de mobiliser du monde (militants marxistes, artistes, ouvrier.e.s et autres personnages lambdas), provoquer de la rencontre et voir ce qui se dit. Faire l’état des lieux de sa communauté. Ça nous touche, ça nous inspire, on se demande si ça ne devrait pas arriver plus souvent au cinéma et dans nos vies, tous les jours. Ces films, on les a découverts grâce à la chercheuse Léa Morin qui fait beaucoup pour que tout un cinéma de décolonisation recircule. Soucieuse de pédagogie, Léa veille à ce que ces films cohabitent avec les documents d’époques, articles, journaux, manifestes, interviews (https://cinima3.com/Lodz-Casablanca; https://talitha3.com). C’est qu’en parcourant toutes ces archives, on se rend compte que cette quête d’un cinéma national s’inscrit dans un contexte internationaliste. En témoigne le passage de nombreux cinéastes marocains par l’école de cinéma de Łódź en Pologne. On aura l’occasion de projeter ces films d’études, déjà lancés à la recherche du peuple, qu’il vienne de Pologne ou du Maroc.
Le peuple qui se raconte, encore, dans
DJAMILIA d’Aminatou Echard. Au Kirghizstan, il y a Djamilia, ce personnage de roman qui a refusé les conventions sociales pour s’évader avec son amant. Aminatou Echard interroge les femmes kirghizes sur le rapport qu’elles entretiennent avec ce symbole de l’émancipation. Si l’évasion reste presque de l’ordre du mythe, il n’en reste pas moins que toutes racontent des expériences de l’ordre d’une résistance au patriarcat. Il y a celles qui écrivent, celles qui chantent, celles qui transmettent et celles qui militent. De l’histoire individuelle de Djamilia, le film glisse vers une histoire chorale de la condition des femmes au Kirghizstan. Au moyen d’une caméra super 8 et d’une activité d’écoute prodigieuse, Aminatou Echard accueille, accueille, accueille et restitue toute la puissance politique de ces vies.
Enfin, comme chaque mois,
l’internationale ciné-club Huillet-Straub de Genève.
Voilà notre geste pour ce mois d’octobre.
Tom et Nathan