SOUPE AU CANARD, Leo McCarey


lun. 3 oct. 2022   20h30
Cycle

GODARD, GORIN, GROUCHO, HARPO ET CHICO

SOUPE AU CANARD, Leo McCarey, États-Unis, 1933, 80’ avec Groucho Marx, Harpo Marx, Chico Marx, Vo, sous-titré français

LU 3, 20h30

Godard est mort et cela nous a rendu tristes. Puis, on a vu, lu et entendu les multiples tentatives de récupération. On a pris peur. Qu’on essaie même de voler Godard. Alors, avant le flux de rétrospectives qui vont embouteiller les cinémathèques du monde entier, on voulait faire une chose, rien de bien grand, petite fête un dimanche et un lundi. Rentrer dans Godard par la comédie et penser à d’autres guignols du cinéma. Soit VLADIMIR ET ROSA, réalisé en 1970 avec Jean-Pierre Gorin et signé sous le nom de Groupe Dziga Vertov. Massivement détesté par la critique, rejeté par les avant-gardes marxistes et probablement peu vu jusqu’à maintenant, ce film – parodie du procès des huit de Chicago – pose une question qui nous travaille en longueur et en largeur : Comment s’adresser à n’importe qui sans rien renier de ses positions politiques et théoriques ? Et y répond de manière assez passionnante: faire de la philosophie au milieu des cochons, transformer la théorie marxiste en sketch, ridiculiser aussi bien les autorités que soi-même, en somme partir de l’idiotie pour mieux interroger la société.
Voir VLADIMIR ET ROSA, c’est aussi penser aux Marx Brothers, autre bande d’emmerdeurs, arrivés dans les années 20 à Hollywood pour tout saccager. On a le plaisir spontané de montrer un de leurs films, LA SOUPE AU CANARD.

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Les caisses de la Freedonie sont à leur niveau le plus bas. Une fois de plus le Conseil des ministres fait appel à la richissisme Mme Teasdale (Margaret Dumont, soufre-douleur habituel de Groucho) qui accepte à une condition : que le gouvernement se dote d’un nouveau chef, Rufus T. Firefly (Groucho Marx). Rivaux, espions et comploteurs vont tout faire pour discréditer l’homme providentiel, qui va semer un vent de panique dès son arrivée en Freedonie. La Soupe au canard est beaucoup plus sophistiqué en terme de scénario et de mise en scène que les délirantes pantalonnades qui l’encadrent. On constate par exemple l’absence des intrigues sentimentales parallèles qui entravent la folie des Marx Brothers dans les autres films. La Soupe au canard est toutefois un titre atypique dans la carrière de McCarey. Situé au début de son œuvre, quand il n’a pas encore signé ses classiques du mélodrame ou de la comédie, Soupe aux canard rappelle en revanche que McCarey débuta sa carrière en supervisant ou réalisant dans les années 20 plusieurs courts métrages burlesques pour le producteur Hal Roach, parmi lesquels ceux de Laurel et Hardy. McCarey avoua avoir eu du mal à supporter l’agitation permanente des Marx Brothers sur le plateau, gardant un souvenir désagréable du film et de son tournage. Il n’empêche que cette charge anarchisante contre l’armée, le pouvoir politique et les dictatures d’opérette à l’époque de la montée des fascismes en Europe demeure un sommet de drôlerie irrévérencieuse : on y retrouve le charme des comédies hollywoodiennes des années 30, avec leurs intermèdes chantés et leur décors luxueux, mis à mal par le mauvais esprit et la grivoiserie de Groucho, l’homme le plus drôle et à la moustache la plus excentrique de l’histoire du cinéma, véritable bourrasque et incongruité vivante accompagnée de ses trois frères, dont le poétique Harpo dont le mutisme permanent et l’expressivité faciale portent la nostalgie du cinéma muet à l’intérieur du parlant.