ŁÓDŹ-CASABLANCA courts-métrages de Abdelkader Lagtaa, Hamid Bensaïd, Idriss Karim et Mostafa Derkaoui


lun. 24 oct. 2022   20h30
Cycle

Talitha - Cinima 3 une programmation de Léa Morin

ŁÓDŹ-CASABLANCA
courts-métrages de Abdelkader Lagtaa, Hamid Bensaïd, Idriss Karim et Mostafa Derkaoui

LU 24, 20h30

En pleine période des “indépendances”, les jeunes cinéastes marocains étudiants à l’École de cinéma de łódź s’interrogent, avec leurs camarades venus du monde entier (et notamment d’Asie, d’Afrique et d’Amérique Latine) sur un monde, et un cinéma, à venir. Quel sera la place de l’artiste dans ce nouvel agencement du monde tant espéré ? Quel cinéma national veulent-ils pour leurs pays récemment indépendants ? Comment vont-ils affronter les réalités sociales et politiques de leurs pays ?

En Pologne, ils vivent ensemble, en parallèle de leurs études, des années de militantisme politique et de lutte en exil, d’apprentissage de la langue et de la culture polonaise, de combats collectifs en solidarité aux peuples opprimés, d’accès aux cinématographies du monde entier, de découverte et d’exploration de nouveaux milieux artistiques, notamment du free-jazz, de l’art conceptuel et du cinéma politique radical. Des activités et des rencontres qui influenceront leur cinéma à venir. Mais surtout, pour ces étudiants venus pour la plupart en Pologne en raison de leur engagement politique d’extrême-gauche, ces années polonaises seront aussi celles de la rencontre avec les marges et les réalités politiques et sociales de la Pologne communiste.

Quelques années après l’Indépendance du Maroc, Mohamed Ben Souda, Hamid Bensaïd, Abdelkrim Derkaoui, Mostafa Derkaoui, Abdellah Drissi, Karim Idriss et Abdelkader Lagtaa choisissent la Pologne pour devenir cinéastes en allant étudier à l’École nationale supérieure de cinéma, télévision et théâtre Leon Schiller de Łódz.

À la même période, de nombreux.ses autres jeunes étrange.è.r.e.s se rendent en Pologne pour devenir journalistes, sociologues, ingénieurs, chimistes, etc. Mais avant de pouvoir commencer leurs spécialités, tou.te.s doivent pendant une année étudier la langue et la culture polonaise au sein du Studium Jezyka Polskiego de Łódź, joliment surnommé « La Tour de Babel ».

Iels viennent du Vietnam, de Mongolie, de Cuba, du Chili, d’Algérie, de Tunisie, du Cameroun. Pourquoi la Pologne ? À l’époque, les États nouvellement indépendants cherchent à former leurs élites, notamment en Europe, et vont passer pour cela des accords de coopération. Le cinéma polonais et l’école de cinéma de Łódź (où enseigne le réalisateur Andrzej Wajda) sont internationalement réputés, mais c’est surtout à l’IDHEC à Paris que les étudiant.e.s marocain.e.s vont étudier le cinéma. Certain.e.s vont aussi faire d’autres choix : la Russie (Mohamed Abouelouakar), les États-Unis (Mohamed Abbazi) ou encore la Belgique (Ahmed El Maanouni).

La Pologne communiste dans sa volonté de faire front commun « contre l’ennemi impérialiste » va encourager les étudiants des pays du « Tiers monde » à venir dans ses écoles et universités en offrant des bourses d’étude. Le contexte est donc favorable pour ces jeunes aspirants réalisateurs qui, dans l’agitation politique des années des Indépendances, font aussi dans leur choix d’aller à l’Est preuve d’un engagement politique (ils sont souvent proches des partis marxistes-léninistes) et d’une volonté de se démarquer de l’influence de la puissance coloniale sous laquelle ils ont grandi.
À l’École de cinéma de Łódz, Abdelkrim Derkaoui va étudier l’image, les autres la réalisation. Ils suivent des cours d’Histoire de l’art, de philosophie, d’analyse de films, de littérature, mais surtout découvrent le cinéma du monde entier : classiques européens, cinéma expérimental, cinema novo brésilien, cinéma-vérité québécois, cinéma militant, etc. Pendant leurs études, ils devront réaliser quatre films, appelés « études » : deux courts, une fiction (muet) et un documentaire, puis un moyen métrage sonore et enfin un film de diplôme. Les tournages se font uniquement en pellicule 35mm. Pour valider leurs études, ils devront également rédiger un mémoire.

Depuis leur “exil” polonais, les cinéastes marocains étudiants à l’École de cinéma de Łódz bénéficient en plus d’une solide formation, d’une certaine liberté politique (loin de l’état autoritaire et répressif du règne de Hassan 2), d’un recul vis à vis de leur réalité, mais aussi d’une expérience du monde « global », et de ses agitations politiques, au cœur de l’Europe de l’Est entourés d’étudiants venus du monde entier et notamment d’Asie, d’Afrique et d’Amérique Latine.

Léa Morin

ALE NADZIEJA JEST W INNYM KOLORZE [Mais l’espoir est d’une autre couleur], Abdelkader Lagtaa, Pologne, 1972, 7’

Portrait d’une famille rom vivant à Łódź, entre difficile vie quotidienne et spectacles de music-hall pour Le jeune Kola qui est musicien. La mère de Kola doit prendre soin de ses frères et sœurs plus jeunes et de leur père qui est détenu dans une prison de Łęczyca.

ZOFIA I LUDMILA, Hamid Bensaïd, 1971, Pologne, 9’, vo polonais, sous-titré français

Portrait de deux sœurs Zofia et Ludmila, entre leur famille gitane, sédentarisée de force aux alentours de la ville, et leur confrontation avec leurs camarades de classe.

ELZBETIA K., Idriss Karim, Pologne, 1973, 12’ , vo polonais, sous-titré français

Bouleversant portrait d’une jeune polonaise qui cherche l’indépendance et le bonheur hors des normes reconnues. La journée elle est modèle et pose nue pour une école d’art, le soir elle s’occupe seule de sa petite fille dans leur modeste appartement. Elle raconte la solitude.

MARTA, Idriss Karim, Pologne, 1969, 6’, vo polonais, sous-titré français

48h de la vie d’une ouvrière du textile de Lódź, entre un travail harassant, un mari alcoolique et leurs trois garçons. Ce film inaugure la triologie de portraits de femmes voulue par Idriss Karim avec ensuite elzbieta K (1973) et Et L’exil de tous les jours (1975).

ADOPCJA [ADOPTION], Mostafa Derkaoui, Pologne, 1968, 4’, vo polonais, sous-titré français

Agneska est une petite fille noire du Centre pour mères et enfants de Lódź (sa mère, une polonaise, l’a eu avec un étudiant en médecine du Kenya). Qui voudra l’adopter ?

CIEŃ WŚRÓD INNYCH [UNE OMBRE PARMI D’AUTRES], Abdelkader Lagtaa, Pologne, 1969, 5’, vo polonais, sous-titré français

Un opposant en exil reçoit une carte postale de menace de la Brigade de liquidation des ennemis politiques.

LUDZIE Z PIWNICY [LES GENS DU CAVEAU], Mostafa Derkaoui, Pologne, 1969, 13’, vo polonais, sous-titré français

Un groupe d’intellectuels et de musiciens discutent dans une cave de jazz. Parmi eux un journaliste qui vient d’être renvoyé pour avoir fait un reportage sur les Etats Généraux du Cinéma en France après mai 1968.

GDZIES PEWNEGO DNIA [UN JOUR, QUELQUE PART], Mostafa Derkaoui, Pologne, 1971, 21’, vo polonais, sous-titré français

Dans un club de jazz, des étudiants internationaux discutent de l’organisation d’un séminaire en soutien aux luttes révolutionnaires tiers-mondistes, pendant qu’un autre groupe prépare une pièce de théâtre.

PIEŚŃ NA ŚMIERĆ MŁODZIEŃCÓW [CHANT POUR LA MORT DES ADOLESCENTS], Idriss Karim, Pologne, 1973, 12’, vo polonais, sous-titré français

Essai poétique et surréaliste conçu comme une métaphore cinématographique contre la répression. D’après son réalisateur, ce film est une évocation de la mort de Jan Palach et une prise de position implicite pour un socialisme à visage humain, interdit en pologne, et saisi en 1976.

AMGHAR, Mostafa Derkaoui, Pologne, 1968, 4’

La capture de Moha ou Hammou Zayani (1863-1921), chef de tribu berbère en lutte contre l’Armée coloniale française entre 1914 et 1921.

Pour son premier court métrage d’étude à Lodz (une fiction muette de 4 min), Mostafa Derkaoui va s’intéresser à l’Histoire de la résistance marocaine berbère et tourner un film de reconstitution historique dans la campagne polonaise. Abdelkader Lagtaa est acteur dans le film et son frère Abdelkrim Derkaoui est à l’image. Il s’inspirera pour cela d’un livre prêté avant son départ par ses camarades cinéastes marocains Ahmed Bouanani et Mustapha Khayat.





TALITHA-CINIMA 3 avec les films de Mostafa Derkaoui, Abdelkader Lagtaa, Hamid Bensaïd, Idriss Karim - une programmation de Léa Morin

A la fin des années 60, des questions d’identités traversent quelques cinéastes marocains:
Qui sommes-nous au fond ? Comment nous représenter ? En héros, comme dans les films des blancs ? Quoi raconter quand on nous a confisqué notre histoire ? Réponses: Fuck Universal Studios,
(re)partir de la rue, des bars et cafés populaires de Casablanca et surtout du tas de questions et de doutes qui sommeillent. Ainsi, DE QUELQUES ÉVÉNEMENTS SANS SIGNIFICATION et TITRE PROVISOIRE réalisés par Mostafa Derkaoui, deux films de psychanalyse collective à ciel ouvert magnifiquement bordéliques. La méthode Derkaoui c’est de mobiliser du monde (militants marxistes, artistes, ouvrier.e.s et autres personnages lambdas), provoquer de la rencontre et voir ce qui se dit. Faire l’état des lieux de sa communauté. Ça nous touche, ça nous inspire, on se demande si ça ne devrait pas arriver plus souvent au cinéma et dans nos vies, tous les jours. Ces films, on les a découverts grâce à la chercheuse Léa Morin qui fait beaucoup pour que tout un cinéma de décolonisation recircule. Soucieuse de pédagogie, Léa veille à ce que ces films cohabitent avec les documents d’époques, articles, journaux, manifestes, interviews (https://cinima3.com; https://talitha3.com ). C’est qu’en parcourant toutes ces archives, on se rend compte que cette quête d’un cinéma national s’inscrit dans un contexte internationaliste. En témoigne le passage de nombreux cinéastes marocains par l’école de cinéma de Łódź en Pologne. On aura l’occasion de projeter ces films d’études, déjà lancés à la recherche du peuple, qu’il vienne de Pologne ou du Maroc.

Tom et Nathan

Léa Morin est curatrice, chercheuse indépendante et programmatrice.
Engagée pour la préservation, la restauration et la circulation d’archives d’un cinéma en lutte contre les récits et modèles autoritaires (coloniaux, étatiques, capitalistes, patriarcaux), elle milite pour un mouvement des « archives cinématographiques non-alignées* » à travers des projets de recherche, expositions, programmations de films, archivage et restauration qui associent chercheur.se.s, artistes et praticien.ne.s. Elle s’intéresse particulièrement aux circulations d’idées, de formes, d’esthétiques et de luttes politiques et artistiques.

Elle agit au sein de plusieurs associations et collectifs, notamment les Archives Bouanani : une histoire du cinéma au Maroc (Rabat) , Talitha (www.talitha3.com), une association engagée dans la re-circulation d’œuvres sonores et filmiques à travers l’édition et la restauration (Rennes), le projet éditorial Intilak (avec Maya Ouabadi et Touda Bouanani), ainsi qu’au sein du département de Recherche de Elías Querejeta Zine Eskola (San Sebastian).

Elle a notamment travaillé à la restauration et recirculation du premier film de Mostafa Derkaoui De quelques événements sans signification et a conçu le site internet d’archives www.cinima3.com dédié au récit du passage des cinéastes marocains en Pologne dans les années 1960 et 1970.
Elle a été directrice de la Cinémathèque de Tanger et a co-fondé l’Observatoire (Art et Recherche) à Casablanca.