SAUTE MA VILLE + LA PARESSE + AUJOURD’HUI-DIS MOI + FAMILY BUSINESS


dim. 17 sept. 2023   19h30
mer. 27 sept. 2023   20h30
Cycle

18 films de Chantal Akerman

dim. 17 sept. 2023, Ouverture de la presque-rétrospective, repas à 19h30, film à 20h30


SAUTE MA VILLE, Chantal Akerman, Belgique, 1968, 13’

“Charlie Chaplin, femme.”

Une jeune fille rentre chez elle et saccage méthodiquement sa cuisine.

AUJOURD’HUI-DIS MOI, Chantal Akerman, Belgique, 1980, 45’

“ Sur les grand-mères. Je n’ai plus de grand-mère. Ma mère en voix off parle de sa grand-mère.”

Trois portraits de grand-mères juives qui racontent leurs souvenirs de la communauté juive de Pologne avant, pendant et après la Seconde Guerre mondiale.

LA PARESSE, Chantal Akerman, Allemagne, 1986, 14’

“Sonia travaille, Je reste au lit.”

FAMILY BUSINESS, Chantal Akerman, Royaume-unis, 1984, 18’

“Charlot (c’est moi) et Aurore [Clement].”

Tribulations burlesques de Chantal Akerman à Los Angeles, à la recherche d’un riche oncle d’Amérique qui pourrait l’aider à la produire. À défaut de le trouver, elle croise deux femmes dans une villa qu’elle croit être celle de l’oncle, dont Aurore Clément en actrice française désespérée par son anglais. Acceptant de lui servir de répétiteur, la cinéaste donne un irrésistible cours de prononciation, mimiques à l’appui. Mais toujours point d’oncle en vue. Peut-être à New York ?





20 FILMS DE CHANTAL AKERMAN

17.9, 27.9: Saute ma ville + La Paresse + Aujourd’hui-dis moi + Family Business
18.9, 28.9: News from Home
20.9, 29.9: Hotel Monterey + Le 15/8
25.9, 01.10: Histoires d’Amérique
26.9: Un divan à New York
2.10, 17.10: L’Homme à la valise
3.10, 16.10: Les Rendez-vous d’Anna
4.10, 20.10: La Captive
7.10, 19.10: Je, tu, il, elle
18.10, 22.10: Jeanne Dielman
15.10, 26.10: D’Est
23.10, 27.10: De l’autre côté
25.10, 29.10: Sud
30.10, 31.10: Golden Eighties

Il y a de ces cinéastes dont on connaît le nom mais dont on met du temps à rencontrer le travail. Il a fallu ce texte, «comique, aller-retour», écrit par Pierre Eugène en 2021, pour nous pousser vers les films de Chantal Akerman. Dans son article, Pierre Eugène relève la part burlesque que porte le cinéma d’Akerman. À ce même moment, nous faisions des recherches sur le cinéma burlesque, sur son sens subversif, et notamment sur la place que les femmes ont prise dans cette histoire. Alors, le texte a résonné fort en nous et nous sommes donc rentrés par là dans l’œuvre d’Akerman.

Le premier film découvert a été Demain on déménage (2004). Il ne fait pas partie de notre cycle, c’est nos ami.x.es du ciné-club Les sœurs lumières qui prévoient une projection prochainement. Et on s’est senti immédiatement complice de Chantal, peut-être parce que beaucoup de choses se cassent la gueule dans ce film, peut-être aussi parce cela brasse ce avec quoi on doit composer tous les jours: la maison, la cuisine, le travail, les relations. Et tout cela discuté avec autant de platitude que de gravité. Contradiction ou dialectique qu’Akerman travaille continuellement: «Je dis toujours, c’est une comédie optimiste comme seuls les pessimistes peuvent en faire». La tentation de citer Chantal risque de revenir. Il y a aussi cette phrase: «À l’envers, c’est peut-être mieux. La tête à l’envers, j’ai, et le cœur serré».

Puis, c’est seulement ce printemps qu’on a trouvé le temps de parcourir presque tous ses films. Pendant un mois, c’est quelque chose de l’ordre de la cohabitation que nous avons vécue: Écouter Akerman à la radio, lire Akerman, voir Akerman, discuter d’Akerman. Alors, au moment où on écrit ce texte, il est difficile pour nous de restituer ce qu’on a pu ressentir. Dès lors, organiser ce cycle sur un mois et demi, c’est donner la possibilité à tout le monde de se laisser affecter comme on l’a été. Car dans le cinéma d’Akerman, tout semble affecté et traversé par des émotions: les objets, les personnages, les chambres, les rues, les gares. Cette émotion continue ressentie aussi par nous, spectateurices – vient probablement du fait de pouvoir reconnaître – profondément – chaque être et l’histoire qu’il trimballe et qu’il trimballera encore.

« Et c’est petit à petit que l’on se rend compte que c’est toujours la même chose qui se révèle, un peu comme la scène primitive.
Et la scène primitive pour moi – bien que je m’en défende et que j’enrage à la fin -, je dois me rendre à l’évidence, c’est, loin derrière ou toujours devant, de vieilles images à peine recouvertes par d’autres plus lumineuses et même radieuses.
De vieilles images d’évacuation, de marches dans la neige avec des paquets vers un lieu inconnu, de visages et de corps placés l’un à côté de l’autre, de visages qui vacillent entre la vie forte et la possibilité d’une mort qui viendrait les frapper sans qu’ils aient rien demandé. Et c’est toujours comme ça.
Hier, aujourd’hui et demain, il y a eu, il y aura, il y a en ce moment même, des gens que l’histoire qui n’a même plus de H, que l’histoire vient frapper, et qui attendent là, parqués en tas, pour être tués, frappés ou affamés, ou qui marchent sans savoir où ils vont, en groupe ou isolés. Il n’y a rien à faire, c’est obsédant et ça m’obsède. Malgré le violoncelle, malgré le cinéma».

Cette façon d’emporter la vie, le monde dans le cinéma, Chantal y est parvenu petit à petit, depuis la fin des années 60 jusqu’en 2015 – l’année de son décès -, entre Bruxelles, Paris, New York et Moscou, entre autres. Et le monde, chez Akerman, s’épluche un peu comme un oignon. Il y a d’abord un corps à accepter, à redresser, à faire sortir du lit. Une fois dehors du lit, il faut pouvoir quitter la chambre. Quitter la chambre, c’est devoir se nourrir (le régime akermanien est assez singulier: sac de sucre, immenses tartines de confiture, poulet brûlé, tranches panées) et se confronter aux autres qui partageraient le même lieu. Ces autres, ça peut être un homme, une femme ou la famille. Faire déjà tout ça, c’est dur, c’est angoissant, c’est compliqué. Et ses films semblent nous dire que c’est normal que ce ça le soit. Que c’est l’inverse qui serait surprenant. Normal par exemple qu’une femme et un homme ne se comprennent pas et donc ne s’attirent pas. Normal alors que les femmes aillent vers d’autres femmes, là où la rencontre est possible.
Poursuivons l’épluchage. En dessous du chez soi, il y a les rues: « On voit une rue et alors ? On a l’habitude de voir une rue, alors pourquoi montrer une rue ? Justement parce qu’on a tant l’habitude de voir une rue qu’on ne la voit plus ».
Et puis, il y a aussi les gares, les trains, les hôtels. Tous ces lieux de passages qu’Akerman regarde et filme si intensément. Dans ces espaces, des êtres en attente, qui se collisionnent parfois, se racontent des histoires, légères et graves:

– Bonjour, comment ça va ?
– Bien, tout va bien !
– Mais tu as eu une année terrible, comment tout peut aller si bien ?
– Mais tout va bien. Chaque matin, je suis bien et déprimé, et chaque soir, je suis bien et fatigué. L’été, je suis bien et j’ai trop chaud, et l’hiver, je suis bien et j’ai froid. Mon toit est si troué que je suis bien et trempé. Mon plancher est si branlant que je suis bien et fâché. Les enfants sont si paresseux que je suis bien et dégoûté. Et ma femme parle si fort que j’en suis bien et malade. Tout va si bien dans ma vie, que je suis bien et fatigué de vivre.
– Bien, profites-en !
– J’en profite, j’en profite !
(Histoires d’Amérique: Food, Family and Philosophy, 1988).

Si ces lieux peuplent les films d’Akerman, c’est bien parce qu’une fois descendu dans sa rue, une fois le corps mis en mouvement, la pulsion de tout laisser derrière soi apparaît. Donc, le voyage: à savoir le temps, l’espace de mettre sa propre condition en face de celles des autres. « Quand tu filmes frontalement, tu mets face à face deux esprits, à égalité, tu donnes une vraie place à celui qui regarde. (…). Dans ce face-à-face crucial commence ton sens de la responsabilité ». Cette confrontation est toujours bouleversante, dans D’Est (1993), dans Les Rendez-vous d’Anna (1978), dans News From Home (1977), dans de De l’autre côté (2002), dans Sud (1999), entre autres.
Mais chez Akerman, on ne part jamais sans revenir à soi, sans que la famille, la chambre ne nous rattrape. C’est toute la difficulté de l’exil. Quand toutes les strates de la vie ont été épluchées, on revient à un point de départ, mais autrement. Et ce mouvement circulaire est amené à se répéter, inlassablement. « Oui, il faut ressasser parce que c’est ce ressassement, c’est de ce ressassement qu’est sans doute né tout ça ».

On pourrait enfin dire que tous ces films sont une merveilleuse occasion d’apprendre à se tenir. Non pas le “tiens-toi droit” de l’école mais par la voie politique et morale qu’engage de porter son être face au monde.

Tom et Nathan