La femme qui se poudre


sam. 3 nov. 1990   20h30

Réalisation
Patrick Bokanowski
Pays
France
Année
1970
1971
1972
Langue
VO français
Format
35mm
Durée
18'
Cycle

2 films de Patrick Bokanowski

La femme qui se poudre

«C’est pourtant le type même du chef-d’oeuvre fulgurant, qui ne ressemble à rien de connu (même si l’on peut, par approximation, évoquer Goya ou l’Expressionnisme allemand). Même au niveau du discours que l’on peut, ou que l’on ne peut pas tenir sur lui, c’est un film qui provoque le malaise. La musique (de l’auteur lui-même) est aiguë, faite, dirait-on, de sifflements de vent, de bruits de soucoupe volante ou de trompettes tibétaines et de bribes de paroles dans une langue indiscernable. Comment ce que l’on voit a-t-il été obtenu ? Il y a parfois des surimpressions, ou bien des personnages «réels», portant des masques grotesques, «frankensteiniens» ou un bas sur le visage, filmés à travers un verre sale, ou bien interviennent des éléments dessinés (un personnage ou des volumes traversent le champ et s’assemblent en une forme étrange et cohérente), le résultat est que l’espace de ce film est constamment brouillé ; c’est un film sans sol et qui par conséquent désoriente le spectateur le mieux assis. Si l’on remarque que ces créatures (parmi lesquelles certes, parade un bref instant une femme qui se poudre) se livrent lentement à des actes que l’on ne comprend pas mais dont on pressent l’épouvantable jeu (s’agit-il d’un assassinat ?) si l’on observe comment deux personnages «réels» se changent tout à coup en taches d’encre cependant qu’un bombardement de météorites dessinées ou peintes frappent la terre, si l’on repère tel personnage continuant à verser du café dans une tasse pleine qui déborde en longue traînée sombre, on se dit qu’est à l’oeuvre, dans ce film noir, déroutant, la logique du cauchemar.» Dominique Noguez





Deux films de Patrick Bokanowski

Au centre de la question après le visionnement d’un film de Patrick Bokanowski, une préoccupation: comment le cinéma peut-il devenir à ce point un instrument pour le viol de l’inconscient? Non pas le nôtre en premier lieu, mais celui-même créateur. Tout nous laisse croire qu’il est dans la salle, ici et maintenant, et qu’à l’aide de quelque procédé métaphysique, les images se gravant sur l’écran sont la manifestation directe de ses pulsions les plus instinctives. Mais sans doute faut-il aborder le problème à l’inverse, peut être ne s’agit-il pas de reproduction d’images mentales, mais d’une alchimie complexe où , au moyen d’une « science » pertinente, le réalisateur réussit à manifester le désir le plue profond de l’homme: celui de comprendre sa relation au quotidien, à la réalité. Une volonté tragique de trouver un sens qui, sans cesse, se voit déjoué par l’équilibre précaire de la réalité.

C’est évidement une quête classique, mais là où Bokanowski devient un maître, c’est dans la façon qu’il a d’aborder le sujet: c’est en amont du conscient qu’il a choisi d’intervenir, avant que ne paraissent les parasites de la convention, de la norme, avant que tous ces sens que l’on se complait à appliquer de façon systématique sur nos expériences perceptives, ne viennent troubler l’eau de notre mémoire. Il trouve à travers le cinéma, le moyen d’accéder à un niveau qui se situe juste entre la restitution d’une expérience, et cette expérience elle-même. Ce à quoi l’on assiste, c’est à une suite de transformations, de métamorphoses lentes et incontournables du perçu et du restitué. Les films de Bokanowski sont la manifestation de ces métamorphoses. Grace à un traitement expérimental de l’image, il répercute par le support, la complexité de sa quête. Nous entrons alors dans la logique du rêve, voir du cauchemar; les images se déroulent en s’enchainant, s’animant les unes les autres; c’est une impression, un sentiment ou une angoisse qu’elles illustrent: l’on assiste aux différentes formes que prend une obsession. Les scènes se succèdent, certaines se reproduisant toutes en étant différentes et l’on devine, en fin de compte, un,espoir secret qui tend à imaginer que grâce à chaque apport, les choses n’étant jamais vraiment les mêmes, le film viendra à bout de l’obsession, la fera disparaitre.

Ce qui se passe en réalité, c’est que R Bokanowski cherche à montrer les choses différemment. Sa recherche d’une « nouvelle image » devient, grâce a cette tension de l’esprit qui pousse vers l’inconnu, une expérience vécue, tangible et transmissible. En résumant, l’on pourrait dire que c’est parce qu’il expérimente sur l’image qu’il en transforme le contenu, qu’il en modifie le sens. Lorsqu’une table apparaît dans un film de Bokanowski, ça n’est pas ce qui classiquement, dans le langage du cinéma, pourrait répondre à notre attente: l’on sort du domaine du codifié et l’on perçoit alors ce que Bokanowski entend véritablement d’une table. La façon qu’il a de « vivre » ce meuble, impliquant l’impact de cet objet sur sa vie, tout ce qu’il contient en dehors du visuel; son interprétation en quelque sorte. Comme dans les grands films expressionnistes, le « décor » devient-le reflet de l’intérieur de l’âme, une sorte d’entité à laquelle l’homme se confronte chaque jour, y retrouvant l’écho de ses préoccupations.

Le langage cinématographique expérimental de Patrick Bokanowski réussit-à nous faire assister,non pas à une re-production de quelque archétype narratif, mais bien à la production même puisque ce qu’il nous montre est une obsession, un sentiment dans son entier; nous longeons un axe vertical, un spectacle de ce type n’a ni fin ni début et il devient impossible, de ce fait, de le « dater’. Lorsque Bokanowski décompose le mouvement du coureur dans « Le déjeuner du matin », il ne s’agit pas d’une course ayant un début et une fin, mais bien de la course elle même, sa nature ou son essence. Grâce à un montage très particulier, chaque scène vient en « appel » à ce qui suivra, de près ou de loin. Une cohérence impressionnante règne et aucune fausse note ne vient entraver le déroulement: on l’a déjà dit, nous sommes dans la logique du rêve où chaque vision, chaque image mentale,semble toujours avoir été là.
Patrick Bokanowski ne fait pas partie de ces cinéastes expérimentaux qui tendent à exprimer une idée, un concept. Bokanowski est un artiste de l’instinct, ce qui l’intéresse, c’est l’homme et ce qui fait qu’il ne sera jamais autre chose.

Jean-Christophe Pastor