DE CIERTA MANERA de Sara Gómez


lun. 3 avril 2023   20h30
mer. 5 avril 2023   20h30
jeu. 6 avril 2023   20h30
ven. 7 avril 2023   20h30
dim. 2 avril 2023   19h00
dim. 9 avril 2023   19h00
jeu. 18 mai 2023   20h30
Cycle

CINÉMA DE DÉCOLONISATION

DE CIERTA MANERA, Sara Gómez, Cuba, 1974, 79’, Vo, sous-titré français

Sara Gómez, on pourrait l’associer à une constellation de cinéastes femmes révolutionnaires apparue dans les années 70 au quatre coins du monde. Parmi elles, il y a Sarah Maldoror, Safi Faye, Djoura Abouda, dont on a déjà montré leurs films au Spoutnik. Dans leur cinéma, la question décoloniale y est primordiale. Décolonial jusqu’au processus même de fabrication d’un film, puisque tous les codes du cinéma dominant y sont détournés au profit d’un autre langage, celui qui permet justement de se tenir sincèrement du côté des minorités et de participer à leur émancipation. On a découvert son long-métrage DE CIERTA MANERA (1974-1977) il y a peu de temps. Et on s’est retrouvé renversé devant la liberté que se donne cette cinéaste. De prime abord, une simple histoire d’amour entre un ouvrier et une institutrice dans le Cuba de l’après-révolution. À partir de ce canevas s’engage toute une étude complexe sur les voies à suivre ou non pour pérenniser le socialisme. Le film devient alors un immense sac de nœuds, un bloc de tensions tant les questions s’accumulent: scolariser ou pas, moderniser ou pas, travailler ou pas, … Sara Gómez répond à ces questions non via le récit officiel et les images canoniques de la révolution mais prend le parti des femmes et des populations afrodescendantes, laissant voir par là qu’il n’y a qu’elles pour véritablement fédérer le peuple cubain. (Tom et Nathan)

*********

À travers l’histoire de la construction d’un quartier de La Havane par ses propres habitants, Sara Gomez interroge, avec énergie, la société qui l’entoure, en plein chamboulement social. Elle tente de comprendre cette Révolution sans se voiler la face, en se rapprochant au plus près des marginaux, ces oubliés de la société. Le film combine admirablement bien documentaire et fiction, en mélangeant des acteurs professionnels et les habitants du quartier, pour s’approcher des transformations individuelles qui ont traversé la population cubaine d’alors. De cierta manera propose une analyse des rapports complexes existant entre l’oppression des femmes et le culte de la virilité et aborde également la question des différences de races et de classes à Cuba depuis la révolution des années 70.

********

Sara Gómez était issue de l’intelligentsia noire de Cuba et on la considère aujourd’hui comme la première cinéaste féministe de l’île [10], ayant toujours défié le machisme cubain post-révolutionnaire sous toutes ses formes. Ses films sur les jeunes, les femmes, les afro-descendants et leurs cultures sont des portraits postcoloniaux d’une grande lucidité et fermeté morale et politique. Partisane du documentaire de parole, elle a choisi une autre voie que celle d’Álvarez et Guillén Landrián, greffant des éléments du cinéma anthropologique et de recherche culturelle aux enquêtes sociologiques du cinéma direct. Et pourtant, Gómez a refusé toute obligation de neutralité et d’objectivité, son point de vue est déclaré et exposé à l’image. Intervieweuse, elle apparaît dans ses films aux côtés de ses interlocuteurs, témoignant d’un besoin intime de vérifier dans le dialogue leur bienveillance et leur franchise. Au montage, Gómez évite la belle forme et en donnant à ses films un savant déséquilibre et un manque de style recherché, elle trouve sa signature d’autrice et gagne le respect du le milieu très masculin de l’ICAIC. Sarita a été la première cinéaste à se raconter devant la caméra, revendiquant sa propre vision subjective et son corps, sa mémoire et sa pensée, incarnant ainsi un urgent besoin de décolonisation à la fois politique, idéologique et identitaire, pour briser définitivement les liens de la société cubaine avec les valeurs de la tradition. (Federico Rossin)