Outside Noise de Ted Fendt


ven. 1 avril 2022   20h30
lun. 4 avril 2022   20h30
mar. 5 avril 2022   20h30
mer. 6 avril 2022   20h30
jeu. 7 avril 2022   20h30
ven. 8 avril 2022   20h30
sam. 9 avril 2022   20h30
dim. 10 avril 2022   20h30

Réalisation
Ted Fendt
Durée
61'
Cycle

Rétrospective Ted Fendt

ven. 1 avril 2022, en présence du réalisateur


OUTSIDE NOISE, Ted Fendt, 2021, Allemagne, Corée du Sud, 61’, Vo sous-titré français

Au retour d’un séjour à New York, Daniela rend visite à Mia, son amie berlinoise. Le jetlag n’arrange rien à ses insomnies. Mia aussi dort mal, fatiguée « de ces jours vides où il ne se passe rien ». Quelques mois plus tard, c’est à son tour, accompagnée de Natasha, de passer quelques jours d’oisiveté dans l’appartement viennois de Daniela. Leur spleen désoeuvré est à l’opposé de la passion dantesque qui animait les personnages de Classical Period. Sombre et inquiet sous ses airs de flânerie désinvolte, Outside Noise en est le contrechamp. C’est précisément la tension entre cette angoisse latente et la légèreté sobre et précise de la mise en scène qui fait la beauté de ce Stimmungfilm. Les dialogues, dont le cinéaste a partagé l’écriture avec ses comédiennes, tissent la toile serrée d’une autofiction où viennent se prendre les trois jeunes femmes. Prendre ou pas un thé, finir ou pas son mémoire de master, visiter un musée ou un autre dans des villes qui se confondent dans une même grisaille : l’existence, dans cette comédie triste de l’équivalence, semble réduite à faire du tourisme dans les limbes, à tourner en rond dans le bruit du dehors. Entre les mailles de l’étude de caractères se dépose un portrait de l’époque, d’un « temps en sursis », selon le titre du poème d’Ingeborg Bachmann que Daniela lira peut-être l’automne prochain – pour le moment elle n’y arrive pas. Il faudrait agir, dit le poème, se secouer, avant la venue des « temps durs ». Mais les femmes sont fatiguées et les hommes sont, au choix, odieux ou pénibles. La charleston, enseigné à Mia par un Ted Fendt malicieusement grimé en guide touristique cosmopolite et polyglotte, ne semble pas être la solution. Rien de tragique, certes, mais la question qui, dans le magnifique épilogue, ponctue cette tendre dérive, laisse flotter un parfum d’amère nostalgie : une vie romanesque, héroïque, est-elle encore possible dans une Europe sans histoire ?





Rétrospective Ted Fendt

Dans Broken Specs, l’un des trois courts-métrages de Ted Fendt, Mike Maccherone retrouve ses lunettes cassées sous une voiture, les répare avec trois bouts de scotch, les laisse à nouveau tomber sur une pizza partagée avec ses parents – méprisants – et les casse encore, en dansant chez ses ami.e.s, elleux aussi méprisant.e.s. Chez Ted Fendt, les aventures sont aussi triviales que celle de casser ses lunettes. Cinq films où un petit monde de jeunes adultes traversent d’incessants décalages avec leur époque. Ce petit monde, ce sont les ami.e.s du cinéaste, à qui il laisse l’espace – cinématographique – d’exprimer leur étrangeté: pas dormir, trop lire, trop savoir, trop parler. Qu’ils soient étudiants ou munis d’un travail, érudits ou non, les personnages des films de Ted Fendt n’en sont pas moins perdus dans les villes qu’ils habitent ou visitent (Philadelphie, Berlin, Vienne).

Dans Outside Noise: «Les individus ne savent pas à quoi ils appartiennent ni qui ils sont. Tu dois retrouver tes repères.» Dans Classical Period: «Je dois trouver un sujet. Quelque chose de précis à développer. Je suis trop confuse et dispersée. […]. Je dois m’éclaircir les idées. […]» Si ces films dépeignent une génération en déshérence, ils proposent néanmoins des révoltes miniatures. Toujours dans Classical Period: «Je trouve utile de parler de tout ça avec d’autres.» Accordant une importance prépondérante à l’écoute et à la parole, Ted Fendt observe des êtres se lier entre eux et s’accompagner dans leurs doutes. Les étudiant.e.s de ces deux films ont encore ce luxe ou ce leurre d’avoir du temps. Le temps de discuter, de lire, de se balader mais aussi le temps de tourner en rond.
Au contraire, dans Short Stay, tout paraît plus empressé, en témoigne le rythme du film. Ici, le temps manque. Mike doit chercher un toît et enchaîne les petits boulots minables. La parole devient alors plutôt pratique, à savoir que les relations existent à travers la demande réciproque de services. Cette fragile entraide matérielle laisse ainsi voir combien la précarité vient abîmer les relations humaines.
Si dans Outside Noise et Classical Period, l’amitié et l’érudition semblent être des refuges dans un monde sans repères, il ne reste dans Short Stay rien d’autre que le visage impitoyable de l’Amérique.

Aussi, Ted Fendt prend soin d’inscrire précisément ses personnages dans les espaces et les lieux. Rues, marchés, bâtiments, parcs que l’on aperçoit à plusieurs reprises, caressés par des lumières différentes, à l’aube, en journée, la nuit. Comme des personnages à part entière. L’attention à tous ces détails montre combien ces êtres sont tissés par ce qui les entoure. Les chemins semés d’incertitudes que dessinent ces films nous disent néanmoins qu’il y a peut-être encore un peu de foi à nicher dans des choses aussi mineures que cet immense chêne filmé avec l’éclat du 35mm.

Tom et Nathan