BRUIT DE FOND, UNE PLACE SUR LA TERRE + HIVER À VIVIERS


mar. 7 mars 2023   20h30
Cycle

Olivier Derousseau - suite

mar. 7 mars 2023, en présence d’Olivier Derousseau


BRUIT DE FOND, UNE PLACE SUR LA TERRE + HIVER À VIVIERS

On ouvre un chapitre avec la venue d’Olivier Derousseau. Cela fait vingt ans que ce bonhomme compose quelque chose avec le territoire français. Si l’on dit bonhomme, c’est qu’il est difficile de lui assigner une étiquette ou un rôle. Tantôt cinéaste, tantôt travailleur social, tantôt metteur en scène, tantôt militant, tantôt poète, il met – avec d’autres – toutes ses valises à l’épreuve. Ces autres, ce sont souvent des personnes en situation de handicap, des chômeur.eus.es, précaires ou pour reprendre les termes d’Olivier Brisson, « des personnes traversées par des effondrements ou des ébranlements plus ou moins sévères ». Ça se passe par exemple à Roubaix, avec Anne-Marie Faux, auprès de la compagnie l’Oiseau mouche, qui compte une vingtaine de comédien.ne.s professionnel.le.s, personnes en situation de handicap mental (DREYER POUR MÉMOIRE). Cela se passe dans et autour d’une maison en ruine, à Lille (ACCOSTER). Cela se passe aussi avec des patient.e.s au centre hospitalier François Tosquelles, à Saint Alban (DE NOS PROPRES MAINS). Ou alors cela se passe simplement avec Isabelle de Paris, Grenoble, Lussas, Cerbère, jusqu’à Porbou (NAGER COMME SI C’ÉTAIT HIER). Et ailleurs encore. Au départ de tout cela, il y a une immense colère adressée à l’endroit de cette France: ses surveillants, politiciens, bureaucrates, supermarchés, protocoles, mesures, réformes qui continuent encore d’aliéner le pays. Alors, toujours cette même question: comment résiste-t-on? Après avoir gueulé, essayons de se réunir avec celles et ceux qu’on ne veut pas réunir et qu’on préfère exclure. Lorsqu’on s’est entretenu avec Olivier pour préparer sa venue, il a décrit ainsi sa démarche: « C’est quoi les conditions matérielles d’élaboration d’une rencontre? Que ça ne soit pas seulement la case du programme de réinsertion mais que ça puisse effectivement transformer quelque chose en mettant un outil (le cinéma par exemple) au milieu. Et c’est précisément ça dont on est empêché très souvent et c’est ça qu’il faut construire ». En effet, dans chacun de ses films, des exercices se font, se vivent, s’éprouvent sous nos yeux, pour fabriquer un “nous”. Mais il n’y a, ici, nulle tricherie, car on voit d’abord ce qui est empêché, la communion n’est pas donnée d’emblée et sera possible qu’à certaines conditions que les films se donnent les moyens de créer. Et à nous, spectateur.ice.s et témoins, nous est donc confiée la responsabilité morale de reconnaître que la rencontre fut possible, sera dès lors encore possible et qu’il y a nécessité qu’elle reste toujours possible. C’est habité, affecté, touché par cette transmission que l’on souhaite passer ces films plus loin.

Tom et Nathan

Ne vous fai pas trop de bil avec moi toujour plin de courage. Mets-moi un instant la main sur le front pour me donner du courage.

BRUIT DE FOND, UNE PLACE SUR LA TERRE, Olivier Derousseau, France, 2001, 45′

Quelque chose ne passe pas, on pourrait dire le passé c’est ce qui ne passe pas. Soit une projection, soit dans cette projection un trajet qui passe par l’aire des champs d’amour, va jusqu’au bout de l’Europe dans l’embouchure voir passer le grand fleuve et ses chariots de plaintes. Au commencement, au départ, on se place, nous sommes placés dans une zone obscure limitée par l’impossibilité de faire fond sur une distinction nette entre un “ nous ” et un “ eux ” comme si elle était déjà donnée. Cette distinction flotte comme quelque chose qui pourrait nous saisir, quelque chose qu’il y aurait à construire. Quelqu’un parle au présent mais c’est du passé, c’est une projection, c’est un film. Un film où l’on entend parler un employé de l’usine monde, mon frère. Ce qu’on y voit pendant, ce sont de pauvres images qui tentent de montrer ce que dehors la nuit nous observons alors que cette parole nous travaille ; des lieux communs. Des images en lutte pour devenir des plans. Et puis il y a un passage comme qui dirait un passage de témoin dans un relais. Quelqu’un prends la parole ; nous passons d’un registre à un autre, on pourrait dire du positif au négatif. Et consubstantiellement, le film se barre. Apparaît ce qui pourrait être nécessaire : une colère qui s’incarne dans la douceur et le désespoir. Colère de femme marquée par le désir et d’en finir, et pourquoi pas d’en découdre avec l’incommensurable servitude volontaire qui chaque jour nous apporte son lot de nouvelles molles et dévastatrices, même si par ici nous survivons à nos problèmes. Besoin du cinéma afin de “ diagnostiquer ” un nous en tant que quelque chose d’abord nous regarde, et voir le monde depuis le lieu fraternel, mais pas nécessairement confortable, de l’autre ; besoin du cinéma afin qu’apparaisse, comme une conséquence, une figure qui porte sa parole. Le prolétariat.

HIVER À VIVIER, Olivier Derousseau, 40’, 2008

Réalisé à l’école de la deuxième chance en compagnie de jeunes chômeurs et chômeuses, Viviers au Court. Prod : La Pellicule Ensorcelée.