Novembre 2022


Novembre, à Genève, c’est l’histoire d’un nuage très bas, très très bas qui persiste au-dessus de nos têtes et aussi l’histoire d’un gros festival de cinéma qui continue de penser que la réalité virtuelle nous promet des jours meilleurs.

 

Contre le stratus et le GIFF, on a imaginé ça:

 

Ce mois de novembre s’ouvre LE MOMENT DES FORCES et LA TEMPÊTE S’ANNONCE, deux courts-métrages de notre amie-camarade Constance Brosse. Constance a filmé deux groupes de travail qui se sont réunis en mixité choisie. L’un dans un atelier de réparation de vélo, l’autre dans un espace d’autoformation au rap. La présence du cinéma dans ces deux environnements nous ramène à un geste magnifique, simple et complexe à la fois, apparaissant déjà dans les premières initiatives de contre-informations filmiques du début du 20ème siècle (Cinéma du peuple en France, Kino Pravda et le ciné-train de Medvedkine en Russie). Celui de passer, relayer, transmettre des manières de s’organiser, travailler, s’exprimer. Et par l’enregistrement d’expériences d’émancipation, mettre dans les mains du peuple des moyens pour organiser la leur. C’est d’autant plus fort que les femmes de ces films se réapproprient des pratiques privatisées/monopolisées jusqu’ici par les hommes.

 

Cette position féministe est aussi à l’oeuvre dans l’incendiaire MATO SECO EM CHAMAS, réalisé par Adirley Queirós Andrade et Joana Pimenta. Alors qu’au Brésil le gouvernement de Bolsonaro a complètement privatisé le pétrole, les deux cinéastes entreprennent l’occupation sauvage d’une raffinerie dans la favela de Sol Nascente par un gang de femmes, toutes actrices non-professionnelles. De là, se trame toute une “zone de fiction à défendre” - pour reprendre la juste expression de Luc Chessel. Pour la défendre, le film est immensément généreux et y fait entrer toutes ces choses: les légendes locales, les échos à Mad Max et au cinéma de genre, la mémoire des damnées de la terre, la formation d’un parti imaginaire (le PPP, parti du peuple prisonnier), des scènes interminables de danses et un baile funk sauvage qui vibre à travers les plans. Au bout de ces deux heures et demi, on comprend que la lutte continue et que le cinéma n'est qu’un morceau d’un grand geste politique.

 

Au fond, il nous bouleverse complètement, ce cinéma fabriqué et peuplé par des gens qui n’étaient ni censés, ni destinés à en faire. Des sortes d’accidents de l’histoire, des objets minoritaires qu’on aime avoir pour modèles. Par exemple, ça donnerait quoi un cinéma porté par des ados de banlieue parisienne ? Des vrais, hein, sans l’intermédiaire d’un Ladj Ly ou d’un Romain Gavras. Ça donne les films du collectif Mohamed, LE GARAGE, ZONE IMMIGRÉE et ILS ONT TUÉ KADER réalisés entre 1977 et 1981 dans le Val de Marne. Dans ce quartier, des adolescents injectent toute leur énergie, colère, puissance de vie sur de la pellicule super 8. Et font de leurs vies le lieu d’une sociologie de très très haute voltige, qui met la misère à Bourdieu.

 

Et Godard, il dit quoi de tout ça ? Il dit: « Depuis l'invention de la photographie, l’impérialisme a fait des films pour empêcher ceux qu’il opprimait d’en faire. Il a fait des images pour déguiser la réalité aux masses qu’il opprimait. Notre tâche est de détruire ces images et d’apprendre à en construire d’autres, plus simples, pour servir le peuple, et pour que le peuple s’en serve à son tour. » Ce bout de texte est issu d’un manifeste écrit juste après un passage en Palestine avec Jean-Pierre Gorin. Là-bas, les deux entreprennent une enquête, discutent, font des images et des sons avec les fedayin. Les bobines finissent dans un tiroir puis sont reprises un peu plus tard par Anne-Marie Miéville et le même Godard. Ça donne ICI ET AILLEURS, plus qu’un film de propagande, c’est un film qui pose des questions cruciales, interroge le rôle des images dans la lutte.

 

Il y en a d’autres qui continuent aujourd’hui d’interroger les images, notamment ce cher Maxime Martinot qui était venu montrer son Histoire de la révolution il y a deux ans. Depuis, il a continué de trafiquer, à Lisbonne, en pleine période de pandémie. Peu de mobilité, peu de moyens, un caméscope, quelques amis-acteur.ice.s à portée de main et toujours ces questions qui travaillent le monde des bricoleur.euse.s : Pourquoi faire un film aujourd’hui ? Produit par qui et comment ? Avec ou sans scénario ? OLHO ANIMAL y répond par une histoire de chiens, pour faire l’histoire de soi et raconter les histoire(s) du cinéma.

 

Puis, il y aura aussi des films qu’on a pas vus. Pas vus car mal numérisés jusqu'ici et restés sur le territoire américain dans leur support d'origine, le 16mm. Grâce à la coopérative Light Cone, il existe de nouvelles copies 16mm qui peuvent désormais circuler en Europe. Ce sont celles-ci que nous allons vous montrer. Ces films, ce sont ceux de Chick Strand, une pionnière du cinéma expérimental. Qui a également ouvert des voies passionnantes quant à la rencontre de l’image avec l’ethnologie. À travers les documents qu’on a pu lire à son sujet, il nous a semblé que la matière - poésie, monde paysan, traditions, musique - traversée par son œuvre est proche de ce qu’on montre et défend depuis qu’on est là.

 

Et, encore, toujours, il y aura nos camarades Danièle Huillet et Jean-Marie Straub avec ce film au titre sublime: LA MORT D'EMPÉDOCLE OU QUAND LE VERT DE LA TERRE BRILLERA À NOUVEAU POUR VOUS. À Jean-Marie de finir le paragraphe: « Dans chaque film le cinéaste devrait faire sentir que l’homme est une chose magnifique et qu’au même moment il est la malédiction de la planète. »

 

Enfin, il y a les ami.e.s et alliés qui vont habiter la salle pour quelques projections. Les Rencontres Anarchistes viendront présenter les derniers épisodes de la série NI DIEU NI MAÎTRE. UNE HISTOIRE DE L’ANARCHISME de Tancrède Ramonet. Outrage Collectif viendra faire son festival Paraponera. Et il y aura une collaboration avec John Menoud et Vincent Capes autour des films de Mathieu Amalric sur le grand musicien John Zorn.

 

Forza !

 

Tom et Nathan



LE MOMENT DES FORCES + LA TEMPÊTE S’ANNONCE

2 films de Constance Brosse


Ce mois de novembre s’ouvre LE MOMENT DES FORCES et LA TEMPÊTE S’ANNONCE, deux courts-métrages de notre amie-camarade Constance Brosse. Constance a filmé deux groupes de travail qui se sont réunis en mixité choisie. L’un dans un atelier de réparation de vélo, l’autre dans un espace d’autoformation au rap. La présence du cinéma dans ces deux environnements nous ramène à un geste magnifique, simple et complexe à la fois, apparaissant déjà dans les premières initiatives de contre-informations filmiques du début du 20ème siècle (Cinéma du peuple en France, Kino Pravda et le ciné-train de Medvedkine en Russie). Celui de passer, relayer, transmettre des manières de s’organiser, travailler, s’exprimer. Et par l’enregistrement d’expériences d’émancipation, mettre dans les mains du peuple des moyens pour organiser la leur. C’est d’autant plus fort que les femmes de ces films se réapproprient des pratiques privatisées/monopolisées jusqu’ici par les hommes.

LES FILMS DU COLLECTIF MOHAMED


Au fond, il nous bouleverse complètement, ce cinéma fabriqué et peuplé par des gens qui n’étaient ni censés, ni destinés à en faire. Des sortes d’accidents de l’histoire, des objets minoritaires qu’on aime avoir pour modèles. Par exemple, ça donnerait quoi un cinéma porté par des ados de banlieue parisienne ? Des vrais, hein, sans l’intermédiaire d’un Ladj Ly ou d’un Romain Gavras. Ça donne les films du collectif Mohamed, LE GARAGE, ZONE IMMIGRÉE et ILS ONT TUÉ KADER réalisés entre 1977 et 1981 dans le Val de Marne. Dans ce quartier, des adolescents injectent toute leur énergie, colère, puissance de vie sur de la pellicule super 8. Et font de leurs vies le lieu d’une sociologie de très très haute voltige, qui met la misère à Bourdieu.

MATO SECO EM CHAMAS de Joana Pimenta et Adirley Queirós


Alors qu’au Brésil le gouvernement de Bolsonaro a complètement privatisé le pétrole, les deux cinéastes entreprennent l’occupation sauvage d’une raffinerie dans la favela de Sol Nascente par un gang de femmes, toutes actrices non-professionnelles. De là, se trame toute une “zone de fiction à défendre” - pour reprendre la juste expression de Luc Chessel. Pour la défendre, le film est immensément généreux et y fait entrer toutes ces choses: les légendes locales, les échos à Mad Max et au cinéma de genre, la mémoire des damnées de la terre, la formation d’un parti imaginaire (le PPP, parti du peuple prisonnier), des scènes interminables de danses et un baile funk sauvage qui vibre à travers les plans. Au bout de ces deux heures et demi, on comprend que la lutte continue et que le cinéma n'est qu’un morceau d’un grand geste politique.

ICI ET AILLEURS de Anne-Marie Miéville, Jean-Luc Godard, Jean-Pierre Gorin


« Depuis l'invention de la photographie, l’impérialisme a fait des films pour empêcher ceux qu’il opprimait d’en faire. Il a fait des images pour déguiser la réalité aux masses qu’il opprimait. Notre tâche est de détruire ces images et d’apprendre à en construire d’autres, plus simples, pour servir le peuple, et pour que le peuple s’en serve à son tour. » Ce bout de texte est issu d’un manifeste écrit juste après un passage en Palestine avec Jean-Pierre Gorin. Là-bas, les deux entreprennent une enquête, discutent, font des images et des sons avec les fedayin. Les bobines finissent dans un tiroir puis sont reprises un peu plus tard par Anne-Marie Miéville et le même Godard. Ça donne ICI ET AILLEURS, plus qu’un film de propagande, c’est un film qui pose des questions cruciales, interroge le rôle des images dans la lutte.

OLHO ANIMAL + LES ANTILOPES de Maxime Martinot


Il y en a qui continuent aujourd’hui d’interroger les images, notamment ce cher Maxime Martinot qui était venu montrer son Histoire de la révolution il y a deux ans. Depuis, il a continué de trafiquer, à Lisbonne, en pleine période de pandémie. Peu de mobilité, peu de moyens, un caméscope, quelques amis-acteur.ice.s à portée de main et toujours ces questions qui travaillent le monde des bricoleur.euse.s : Pourquoi faire un film aujourd’hui ? Produit par qui et comment ? Avec ou sans scénario ? OLHO ANIMAL y répond par une histoire de chiens, pour faire l’histoire de soi et raconter les histoire(s) du cinéma.

À LA DECOUVERTE DES FILMS DE CHICK STRAND PART. I


Chick Strand (1931-2009), cofondatrice avec Bruce Baillie de la coopérative Canyon Cinema en 1961, est une cinéaste pionnière, dont les films figurent parmi les œuvres fondatrices de l'underground américain de la côte ouest. Son œuvre combine de manière très poétique des éléments de type documentaire avec des questions ethnographiques (elle était diplômée d'anthropologie) et des techniques expérimentales. Au cours de sa longue carrière, elle a effectué plusieurs voyages au Mexique, réalisant des portraits de personnes qu'elle rencontrait autour de Guanajuato. La caméra de Strand est toujours en mouvement, essayant de saisir les sujets et les détails en gros plan, en tenant son téléobjectif à la main. "J'aime tenir la caméra près de mon corps lorsque je filme", dit-elle. Sa technique très personnelle - une signature inimitable - produit des images très lyriques et sensuelles, ainsi qu'un renouvellement rigoureux du portrait filmé et du documentaire ethnographique. Strand a toujours refusé l'étiquette de féministe, insistant sur le fait qu'elle ne s'intéressait pas à la politique mais plutôt à ses propres connexions intuitives et passionnées avec les gens, la lumière, le son et la vision. Son mélange d'érotisme, d'intimité et de poésie visuelle est un hymne joyeux à la vie et aux femmes. (Federico Rossin)

Zorn I, II et III de Mathieu Amalric

en collaboration avec Vincent Capes et John Menoud


Mathieu Amalric filme seul, depuis 12 ans, l’insensé saxophoniste et compositeur new yorkais John Zorn. Films-toupies, que Zorn aime programmer, comme un set musical, lors de ses concerts. Musiques en train de se faire, constellations d’énergies, univers sonores en expansion… D’abord acteur qui se fera remarqué chez Despechin, Mathieu Amalric a réalisé des films comme Tournée (2010), Barbara (2017) ou encore Serre-moi fort (2021).

NI DIEU NI MAÎTRE: DES FLEURS ET DES PAVÉS de Tancrède Ramonet

projection organisée par les Rencontres Anarchistes


Depuis 150 ans, les anarchistes embrasent le monde de leurs idées et de leurs révoltes. Cette histoire est encore méconnue et les Rencontres Anarchistes proposent de la redécouvrir à la lueur du projecteur du "plus beau cinéma du monde" les 3 et 4 novembre prochain. « Ni Dieu ni maître, une histoire de l’anarchisme. Une histoire de l’anarchisme » est une série documentaire réalisée par Tancrède Ramonet. Les deux premières parties, La Volupté de la destruction (1840-1914) et La Mémoire des vaincus (1911-1945), sont diffusées dès 2016. Les deux derniers épisodes, Des Fleurs et des pavés (1945-1969) et Les Réseaux de la colère (1965-2011), sont sortis il y a quelques mois et seront présentés respectivement les 3 et 4 novembre. Cette dernière projection se fera en présence du réalisateur.

NI DIEU NI MAITRE: LES RÉSEAUX DE LA COLÈRE de Tancrède Ramonet

Les Rencontres Anarchistes


Depuis 150 ans, les anarchistes embrasent le monde de leurs idées et de leurs révoltes. Cette histoire est encore méconnue et les Rencontres Anarchistes proposent de la redécouvrir à la lueur du projecteur du "plus beau cinéma du monde" les 3 et 4 novembre prochain. « Ni Dieu ni maître, une histoire de l’anarchisme. Une histoire de l’anarchisme » est une série documentaire réalisée par Tancrède Ramonet. Les deux premières parties, La Volupté de la destruction (1840-1914) et La Mémoire des vaincus (1911-1945), sont diffusées dès 2016. Les deux derniers épisodes, Des Fleurs et des pavés (1945-1969) et Les Réseaux de la colère (1965-2011), sont sortis il y a quelques mois et seront présentés respectivement les 3 et 4 novembre. Cette dernière projection se fera en présence du réalisateur.

À LA DECOUVERTE DES FILMS DE CHICK STRAND PART. II


ANSELMO, 1967, 16mm + COSAS DE MI VIDA de Chick STRAND, 1976, 16mm + ANSELMO AND THE WOMEN, 1986, 16mm + MUJER DE MILFUEGOS, 1976, 16mm + BY THE LAKE, de Chick STRAND, 1986, 16mm mardi 29 novembre repas – 19h30 films – 20h30 « Strand a découvert un extraordinaire lyrisme sensuel, à la fois … Continued

MATO SECO EM CHAMAS

Joana Pimenta, Adirley Queirós


Film de contre-science-fiction, entrant en résistance armée à la science-fiction réalisée par le fascisme fossile au pouvoir dans son pays (une dictature pétrochimique), Mato Seco… trouve du pétrole à Ceilândia, et restitue cette ressource au peuple des femmes en lutte, au gang épique des pétroleuses noires, gouines, mères et cheffes de guerre, qui reprennent le contrôle du quartier. Cette mutinerie, le film la présente, la produit, comme une brûlure lente, calme incendie qui ravage tout, cinéma et fiction compris. Un art qui soit modeste et grandiose à la fois, qui sache quitter toute espérance pour faire de la politique librement, raconter l’histoire sans espoir ? Un film qui crée un vrai-faux parti, le parti du peuple prisonnier (dans un pays qui met en tôle celles et ceux qui, de Lea en Lula, veulent rendre le pétrole aux gens), dont les initiales, PPP, criées haut et fort dans les rues de la favela font peut-être renaître de ses cendres un certain Pasolini, auteur d’un roman titré Pétrole ? C’est pour mieux faire entendre tout le reste, la voix forte et fragile des damnées de la terre. L’histoire a commencé depuis toujours, elle prend encore de nouvelles formes, un film est tendu entre les deux. Luc Chessel

Scuola Senza Fine

Organisée par les éditions Clinamen


Scuola Senza fine d’Adriana Monti témoigne de l’expérience d’un groupe de femmes italiennes des années 70 qui, à 40, 50 ou 60 ans, reprennent le chemin de l’école. Pendant 150 heures, en compagnies d’enseignantes féministes, elles apprendront l’écriture, l’histoire, la philosophie, mais surtout, elles apprendront à penser leur apprentissage et l’émancipation qu’il leur apporte. Elles apprendront à se penser elles-même dans le monde qui les entoure. En 1974 les syndicats obtiennent des patrons et de l'état italien 300 heures de cours payées pour les ouvriers, peu après, les femmes de ces derniers investissent également les cours et décident de ne plus quitter les bancs de l'école même au-delà des heures prévues. Dans le but de poursuivre cette éducation collective et autogéré, elles formeront ensuite le collectif de graphisme Gervasia Brocson.