NOVEMBRE: L’AFFICHE ET L’ÉDITO



Novembre, à Genève, c’est l’histoire d’un nuage très bas, très très bas qui persiste au-dessus de nos têtes et aussi l’histoire d’un gros festival de cinéma qui continue de penser que la réalité virtuelle nous promet des jours meilleurs.

Contre le stratus et le GIFF, on a imaginé ça:

Ce mois de novembre s’ouvre avec LE MOMENT DES FORCES et LA TEMPÊTE S’ANNONCE, deux courts-métrages de notre amie-camarade Constance Brosse. Constance a filmé deux groupes de travail qui se sont réunis en mixité choisie. L’un dans un atelier de réparation de vélo, l’autre dans un espace d’autoformation au rap. La présence du cinéma dans ces deux environnements nous ramène à un geste magnifique, simple et complexe à la fois, apparaissant déjà dans les premières initiatives de contre-informations filmiques du début du 20ème siècle (Cinéma du peuple en France, Kino Pravda et le ciné-train de Medvedkine en Russie). Celui de passer, relayer, transmettre des manières de s’organiser, travailler, s’exprimer. Et par l’enregistrement d’expériences d’émancipation, mettre dans les mains du peuple des moyens pour organiser la leur. C’est d’autant plus fort que les femmes de ces films se réapproprient des pratiques monopolisées jusqu’ici par les hommes.

Cette position féministe est aussi à l’oeuvre dans l’incendiaire MATO SECO EM CHAMAS, réalisé par Adirley Queirós Andrade et Joana Pimenta. Alors qu’au Brésil le gouvernement de Bolsonaro a complètement privatisé le pétrole, les deux cinéastes entreprennent l’occupation sauvage d’une raffinerie dans la favela de Sol Nascente par un gang de femmes, toutes actrices non-professionnelles. De là, se trame toute une “zone de fiction à défendre” – pour reprendre la juste expression de Luc Chessel. Pour la défendre, le film est immensément généreux et y fait entrer toutes ces choses: les légendes locales, les échos à Mad Max et au cinéma de genre, la mémoire des damnées de la terre, la formation d’un parti imaginaire (le PPP, parti du peuple prisonnier), des scènes interminables de danses et un baile funk sauvage qui vibre à travers les plans. Au bout de ces deux heures et demi, on comprend que la lutte continue et que le cinéma n’est qu’un morceau d’un grand geste politique.

Au fond, il nous bouleverse complètement, ce cinéma fabriqué et peuplé par des gens qui n’étaient ni censés, ni destinés à en faire. Des sortes d’accidents de l’histoire, des objets minoritaires qu’on aime avoir pour modèles. Par exemple, ça donnerait quoi un cinéma porté par des ados de banlieue parisienne ? Des vrais, hein, sans l’intermédiaire d’un Ladj Ly ou d’un Romain Gavras. Ça donne les films du collectif Mohamed, LE GARAGE, ZONE IMMIGRÉE et ILS ONT TUÉ KADER réalisés entre 1977 et 1981 dans le Val de Marne. Dans ce quartier, des adolescents injectent toute leur énergie, colère, puissance de vie sur de la pellicule super 8. Et font de leurs vies le lieu d’une sociologie de très très haute voltige, qui met la misère à Bourdieu.

Et Godard, il dit quoi de tout ça ? Il dit: « Depuis l’invention de la photographie, l’impérialisme a fait des films pour empêcher ceux qu’il opprimait d’en faire. Il a fait des images pour déguiser la réalité aux masses qu’il opprimait. Notre tâche est de détruire ces images et d’apprendre à en construire d’autres, plus simples, pour servir le peuple, et pour que le peuple s’en serve à son tour. » Ce bout de texte est issu d’un manifeste écrit juste après un passage en Palestine avec Jean-Pierre Gorin. Là-bas, les deux entreprennent une enquête, discutent, font des images et des sons avec les fedayin. Les bobines finissent dans un tiroir puis sont reprises un peu plus tard par Anne-Marie Miéville et le même Godard. Ça donne ICI ET AILLEURS, plus qu’un film de propagande, c’est un film qui pose des questions cruciales, interroge le rôle des images dans la lutte.

Il y en a d’autres qui continuent aujourd’hui d’interroger les images, notamment ce cher Maxime Martinot qui était venu montrer son Histoire de la révolution il y a deux ans. Depuis, il a continué de trafiquer, à Lisbonne, en pleine période de pandémie. Peu de mobilité, peu de moyens, un caméscope, quelques amis-acteur.ice.s à portée de main et toujours ces questions qui travaillent le monde des bricoleur.euse.s : Pourquoi faire un film aujourd’hui ? Produit par qui et comment ? Avec ou sans scénario ? OLHO ANIMAL y répond par une histoire de chiens, pour faire l’histoire de soi et raconter les histoire(s) du cinéma.

Puis, il y aura aussi des films qu’on a pas vus. Pas vus car mal numérisés jusqu’ici et restés sur le territoire américain dans leur support d’origine, le 16mm. Grâce à la coopérative Light Cone, il existe de nouvelles copies 16mm qui peuvent désormais circuler en Europe. Ce sont celles-ci que nous allons vous montrer. Ces films, ce sont ceux de Chick Strand, une pionnière du cinéma expérimental. Qui a également ouvert des voies passionnantes quant à la rencontre de l’image avec l’ethnologie. À travers les documents qu’on a pu lire à son sujet, il nous a semblé que la matière – poésie, monde paysan, traditions, musique – traversée par son œuvre est proche de ce qu’on montre et défend depuis qu’on est là.

Et, encore, toujours, il y aura nos camarades Danièle Huillet et Jean-Marie Straub avec ce film au titre sublime: LA MORT D’EMPÉDOCLE OU QUAND LE VERT DE LA TERRE BRILLERA À NOUVEAU POUR VOUS. À Jean-Marie de finir le paragraphe:
« Dans chaque film le cinéaste devrait faire sentir que l’homme
est une chose magnifique et qu’au même moment
il est la malédiction de la planète. »

Enfin, il y a les ami.e.s et alliés qui vont habiter la salle pour quelques projections.
Les Rencontres Anarchistes viendront présenter les derniers épisodes de la série NI DIEU NI MAÎTRE. UNE HISTOIRE DE L’ANARCHISME de Tancrède Ramonet.
Outrage Collectif viendra faire son festival Paraponera.
Et il y aura une collaboration avec John Menoud et Vincent Capes autour des films de Mathieu Amalric sur le grand musicien John Zorn.

Forza !

Tom et Nathan