Machorka-Muff + Non réconciliés ou seule la violence aide où la violence règne de Danièle Huillet et Jean-Marie Straub

mer. 30 mars 2022 20h30
jeu. 31 mars 2022 20h30
Réalisation |
Danièle Huillet - Jean-Marie Straub
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Année |
1962
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Langue |
ST français
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Cycle |
L'internationale Straub et Huillet |
Huillet et Straub antifas
MACHORKA-MUFF, Danièle Huillet et Jean-Marie Straub, Allemagne, 1962, 18’, Vo, sous-titré français
« Nous avons trouvé dans Böll, […] dont nous avons tiré Machorka-Muff […], un biais pour porter au cinéma des questions que nous nous posions nous-mêmes. L’aspect autobiographique m’intéressait. […]. Machorka-Muff est un western écrit au présent, mais où le justicier est absent, remplacé par le citoyen assis dans la salle, qui est incité à se faire justicier. »
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NON RÉCONCILIÉS OU SEULE LA VIOLENCE AIDE OÙ LA VIOLENCE RÈGNE, Danièle Huillet et Jean-Marie Straub, Allemagne, 1965, 55’, Vo, sous-titré français
« Voici le film:
1) le petit-fils, d’une vingtaine d’années, qui n’apparaît que dans la deuxième moitié du film ;
2) le père, d’une quarantaine d’années, que l’on voit au début du film jouer au billard et que l’on montre aussi en lycéen de dix-huit ans avec son ami Schrella (que l’on verra sortir vingt ans plus tard) ;
3) le grand-père de quatre-vingts ans que l’on voit aussi à trente ans commander son petit-déjeuner en ville en 1910 ;
4) la grand-mère, enfermée dans une sorte d’asile, que le film montre aussi en jeune épouse et mère.
À travers cette famille, qui prend une conscience limitée (parce que bourgeoise) des événements qui la touchent, dans la mesure où elle peut et où elle veut les connaître, à travers cette famille bourgeoise le film raconte cinquante ans d’histoire allemande, de 1910 au soi-disant miracle économique de l’après-guerre: l’histoire d’un peuple qui a manqué sa révolution (en 1849) et qui n’a pas réussi à se libérer du fascisme, c’est-à-dire du nazisme (la libération est venue du dehors), et qui pour cette raison reste plus ou moins prisonnier de son passé. Dans le film – comme, à un autre niveau, chez les personnages – présent et passé (1910, 1914, 1934, 1941, 1944-45) sont plus ou moins sur le même plan, si bien que le film devient une réflexion sur la continuité du nazisme avec ce qui l’a précédé et suivi: l’anticommunisme (avant l’antisémitisme violent), les fausses valeurs morales (respectabilité, sérieux, honneur, fidélité, ordre) et l’opportunisme politique.
Et pour le personnage de la grand-mère (qui est un peu schizophrène et enfermée dans le passé) la continuité est totale, il y a chez elle une conscience absolue que le passé contient le nazisme et que le passé et le présent se confondent. Quand elle parle des chefs d’État qui sont sur les timbre-poste et de la crise économique qui a donné naissance au nazisme, elle confond Hindenburg, Hitler et Adenauer, elle dit « J’observais le temps qui passait en défilés: cela bouillonnait, se battait, payait un billion pour un bonbon et puis n’avait pas trois centimes pour un petit pain. Je ne voulais pas entendre le nom du sauveur mais ils le collaient en timbres sur leurs lettres et récitaient la litanie: respectable, respectable, sérieux, honneur, fidélité ; vaincus et pourtant invaincus ; ordre ».
Cette vieille dame est aussi le seul personnage qui ait l’intuition de la vérité que découvre (après avoir fait l’expérience de vertus plus traditionnellement chrétiennes) un personnage de Bertolt Brecht qui s’appelle Sainte Jeanne des Abattoirs: «Seule la violence aide où la violence règne »; c’est le second titre de notre film, et il ne s’agit pas seulement du coup de pistolet qui le conclut, mais de la violence d’une grève générale par exemple (absente du film comme de l’histoire allemande) qui en 1933 aurait pu empêcher le nazisme et sa conséquence, la Deuxième Guerre mondiale.» Jean-Marie Straub