ICI ET AILLEURS de Anne-Marie Miéville, Jean-Luc Godard, Jean-Pierre Gorin


mer. 16 nov. 2022   20h30
Cycle

ICI ET AILLEURS, Anne-Marie Miéville, Jean-Luc Godard, Jean-Pierre Gorin, France, 1976, 60’

ME 16 novembre, 20h30

« Depuis l’invention de la photographie, l’impérialisme a fait des films pour empêcher ceux qu’il opprimait d’en faire. Il a fait des images pour déguiser la réalité aux masses qu’il opprimait. Notre tâche est de détruire ces images et d’apprendre à en construire d’autres, plus simples, pour servir le peuple, et pour que le peuple s’en serve à son tour. » Ce bout de texte est issu d’un manifeste écrit juste après un passage en Palestine avec Jean-Pierre Gorin. Là-bas, les deux entreprennent une enquête, discutent, font des images et des sons avec les fedayin. Les bobines finissent dans un tiroir puis sont reprises un peu plus tard par Anne-Marie Miéville et le même Godard. Ça donne ICI ET AILLEURS, plus qu’un film de propagande, c’est un film qui pose des questions cruciales, interroge le rôle des images dans la lutte.

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Réflexion théorique sur les problèmes de communication. Ici : une famille de Français moyens devant leur écran de télévision. Ailleurs : les combattants palestiniens. Le film a été conçu et tourné en 1971. Nous était apparu nécessaire de nous confronter aux difficultés et aux exigences du film militant typique pour nous aventurer en dehors du cadre que nous nous étions fixés dans Vent d’Est et pour Luttes en Italie. L’occasion en a été ce « film palestinien. » Tourné en Jordanie sur les cendres du septembre noir, Ici et Ailleurs prit plus de cinq ans pour être achevé. Au moment où son montage venait à terme, le groupe Dziga Vertov avait cessé d’être : Godard travaillait alors avec Miéville et j’avais traversé l’océan vers l’Amérique. La version finale est somme toute plutôt fidèle à cette longue gestation. Le film revisite sous un angle critique ses propres premiers jets. Il y a du Luttes en Italie dans cette revisite et de la Letter to Jane dans cette déconstruction. Il y a malentendu : la copie initiale est désormais présentée comme du tourisme militant standard alors que la structure en chapitres d’Ici et Ailleurs, son matériau clairsemé hormis sa composition sont tout sauf ça. La voix-off retrace si fidèlement les débats qui eurent lieu au fil des différentes étapes de son montage qu’Ici et Ailleurs sonne comme les mémoires du groupe Dziga Vertov proférées d’outre-tombe. (Jean-Pierre Gorin)

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En 1970, le Groupe Dziga Vertov (Jean-Pierre Gorin, Jean-Henri Roger et Jean-Luc Godard) entreprend la réalisation d’un film pour la résistance palestinienne dans le camp d’Amman en Jordanie. Il devait s’intitulé Jusqu’à la victoire. Quatre ans plus tard, Jean-Luc Godard et Anne-Marie Miéville reviennent sur la matière de ce film resté inachevé et investissent les ressources de la vidéo pour relire ces images dans le présent, le leur, celui aussi de la société française, des crises et des représentations qui la traversent. Ici, le foyer d’une famille française ordinaire réunie devant son poste de télévision. Ailleurs, un peuple en exil s’exprime, s’organise et lutte dans l’espoir de retrouver sa terre. Entre les deux, la vidéo, double singulier du cinéma approprié comme un outil d’analyse et de questionnement, rend aussi possible qu’elle apparaît nécessaire une mise à l’épreuve de la conjonction entre « ici » et « ailleurs », entre hier et aujourd’hui, entre eux et nous. Dans le cinéma de Godard, nous n’en sommes pas plus quittes avec le langage qu’avec les images et les sons. Regarder, c’est avant tout être dévoilé dans nos stratégies et nos hiérarchies par ce que nous voyons et entendons, par ce que nous donnons à voir et à entendre.

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Ici, c’est une famille de français moyens devant leur écran de télévision. Ailleurs, ce sont les images de la révolution palestinienne. Ici et ailleurs développe le dernier état du montage de jusqu’à la victoire, film du Groupe Dziga Vertov tourné en Palestine au printemps 1970, et demeuré inachevé. «On sait que la vidéo allait permettre à Godard d’entamer un dialogue avec ses propres images, de savoir s’il faut ou non les revendiquer et de négocier avec elles. Il ne cherche plus seulement à les commenter, il analyse le processus qui les a engendrées.»