Spoutnik les pieds dans l'eau - cinéma en plein air

Les pieds dans l’eau, les yeux rivés vers le large. Ainsi, à l’occasion du plein air estival du Spoutnik, nous avons souhaité des séances se déroulant aux Bains des Pâquis et à Porteous. Ces deux espaces donnent lieu à des expériences poétiques, politiques et populaires dont l’eau en serait le personnage déterminant. Cette qualité expérimentale de l’eau nous a dès lors guidé dans le choix des films.

Disposés de sorte à ce qu’ils fassent face au lac, les Bains des Pâquis donnent le sentiment de s’évader – on tient la ville, les bâtiments, la circulation derrière soi – mais d’être également doucement retranché par l’eau, pris dans la foule, retenu par la chaleur des pierres et le plaisir de manger. Dans Brûle la mer de Nathalie Nambot et Maki Berchache, on perçoit la mer aussi bien dans la projection qu’elle permet aux personnages – le départ de la Tunisie pour la France – que dans ce qu’elle les retient. La beauté des paysages arborant l’eau, de Genève à Beyrouth en passant par un petit port de pêche tunisien, produit des images mémorielles, affectives qui s’inscrivent physiquement dans les corps. Cette même fonction est à l’oeuvre dans Sous le ciel lumineux de son pays natal de Franssou Prenant. Trois femmes racontent leur Beyrouth à elles, celui d’avant et après la Guerre. En 1995, la ville est encore un champ de ruines dans lequel tout est nimbé de trous. À ces sinistres visions, l’une des protagonistes y voit pourtant un horizon ouvert sur la mer, visible désormais depuis chaque recoin de la ville. Ces deux films prêtent leurs attentions à ces choses tantôt irréductibles comme la mer, tantôt fragiles – le collectif, l’hospitalité, la tendresse – qui résistent encore à la destruction, aux frontières, à la surenchère bureaucratique.

Cette pratique de la résistance est l’essence même d’un lieu comme Porteous. De par son histoire, les projets qui y étaient préalablement imaginés et la communauté qui s’y active désormais, Porteous nous apparaît comme un lieu refuge pour la sauvegarde et l’actualisation de certaines formes de vie. Retirée sur le territoire de l’Acadie, dont les rivières et le bayou font écho aux bordures sauvages du Rhône, la communauté cajun lutte dans cet espace pour la préservation de certaines coutumes: musique, pêche, repas et fêtes interminables. Le cinéaste américain Les Blank s’est attaché à documenter dans Spend it All la vitalité de cette culture, faisant l’éloge de la collectivité et du partage. Toujours à proximité de l’eau, non loin d’un port de la Nouvelle-Orléans, Les Blank décline ce même mouvement dans Always for Pleasure, auprès cette foi-ci de la communauté créole et afro-américaine lors de la fête du Mardi Gras. À fleur du Rhône, là où les descentes en bateau se pensent en échappée ludique, Porteous comporte en son sein un caractère joueur. Ainsi se caractérise la trajectoire de l’enfant de Rentrée des classes de Jacques Rozier. Manuel d’école buissonnière, le film fait de l’eau une source infinie d’émerveillement et l’expérience, presque sensuelle, d’un corps à corps entre l’individu et l’élément naturel. Un rapport à la nature que le cinéaste Robert E. Fulton a travaillé inlassablement dans ses courts-métrages expérimentaux. Désirant rendre compte de la complexité du monde, Fulton fait surgir personnes, animaux, plantes en cascade, torrents visuels. Le monde, en somme, reconstruit tantôt de manière saccadée – Fulton était jazzman expérimental – tantôt de manière fluide et planante: Fulton était aussi bouddhiste et aviateur.

Tom & Nathan




Spend it all & Always for Pleasure

Spoutnik les pieds dans l'eau: plein-air à Porteous


Jazz et poésie urbaine, danses spontanées, cantines bricolées à même le bitume, costumes de plumes et perles se déclinent à l’écran et forment ainsi un ensemble de pratiques trans-communautaire guidées par une jouissance commune, une dépense subversive.

Sous le ciel lumineux de son pays natal

Spoutnik les pieds dans l'eau : plein air aux bains des paquis


Trois filles invisibles comme des esprits, planent sur leur ville dont le ciel lumineux nimbe les souvenirs ; elles rôdent et parlent. Par les histoires que tracent les arroseuses de ruines qui semblent verser des larmes, les machines qui grignotent les décombres des splendeurs en lambeaux, la poussière rétive au balayage, les enfants qui font des bombes dans la mer qui rassure et nettoie, contre ces blocs carcéraux d’un avenir déjà présent et destructif, leur parole monte à l’assaut du temps et de l’Histoire.

Brûle la mer

Spoutnik les pieds dans l'eau: plein air aux bains des paquis


Brûle la mer, les frontières, les lois, les papiers… Qu’est-ce que rompre avec sa vie passée, quitter son pays, sa famille où prévalent encore vaille que vaille des liens très forts de solidarité, d’entraide et un attachement ancestral à la terre, pour rejoindre le monde mythifié et dominé par les rapports capitalistes. Qu’est-ce que : Vivre sa vie ?