Kira Mouratova

Si tu regardes un film, ou tu lis un livre, tout le monde dedans est si beau. Leurs sentiments, leurs actions sont tellement censés, aboutis. Même quand ils souffrent, tout est logique et cohérent. On comprend les causes et les conséquences. Il y a un début, un milieu, une fin. Alors que là, tout est vague et informe.

 
Ces quelques paroles sont tenues par Kira Mouratova, actrice de ce qu’elle considère comme son premier long-métrage, Brèves rencontres (1967). Le cinéma de Mouratova vient à quelque part renverser cet énoncé, pour partir d’abord de ce qui «est vague et informe», laissant ainsi discourir toutes les formes de liberté. Ce parti pris s’oppose à la rigidité du système soviétique, ce qui a valu à Mouratova une censure importante de la plupart de ces films. C’est comme si les conditions de production de l’époque, étroitement liées au système politique tout entier, n’étaient pas en mesure d’accueillir le monde de Mouratova. Rien de sciemment contestataire à l’égard du régime mais une farouche volonté de filmer les marges: Femmes en exil intérieur, mendiant.e.s, dormeur.euse.s, indigènes, bouffon.e.s, jeunes vagabond.e.s. Mouratova se range dès lors du côté de celles et ceux dont la vitalité serait pleine mais contrariée. Dans ce monde, rien n’est ainsi «logique et cohérent». Les voix s’ignorent, se chevauchent, les corps se bousculent, les esprits peinent à se comprendre. Ce chaos, les films l’explorent par un infini de trouvailles formelles: désynchronisation volontaire des voix, effets de répétition ou de rupture, jaillissement du passé dans le présent. Toutes ces idées sont contenues dans un montage – réalisé par Mouratova – qu’on peut associer à une partition nécessairement cacophonique qui finirait par aboutir à une symphonie pour les exclu.e.s. C’est que Mouratova déborde d’affection pour ses personnages: « Telle personne me plaît, je veux la filmer, c’est comme un amour. Je veux la filmer, et je ne sais pas comment l’introduire dans mon scénario. Je cherche, je laisse reposer, et puis je finis par trouver». En fin de compte, dans l’horizon étroit que put être le modèle soviétique, les films de Mouratova, tout à la fois tragiques et comiques, sont d’immenses cris d’amour pour son peuple.




Brèves rencontres

Kira Mouratova


Valentina est responsable du logement au Conseil municipal d’une ville de province. Elle doit faire face à la fois à l’impatience de ceux qui attendent un logement et à la corruption de ceux qui les fabriquent. Elle a un amant géologue, Maxim, qui est surtout soucieux de sa propre liberté. Valentina prend comme femme de ménage une autre et plus jeune maîtresse de Maxim…

Longs Adieux

Kira Mouratova


Evguenia Vassilievna exerce le métier de traductrice. Son mari ayant depuis longtemps quitté le domicile pour se consacrer à ses travaux archéologiques, elle élève seule son fils, Sacha, maintenant adolescent. Mais Evguenia continue à le traiter comme un enfant. Il part passer un été avec son père dans le Caucase et est séduit par l’intelligence et le caractère de celui-ci. Quand il revient chez sa mère, il a changé…

Parmi les pierres grises

Kira Mouratova


La mort de sa femme a bouleversé la vie du juge et maintenant, il est obsédé par ses souvenirs. Sa vie actuelle ne lui procure que dépit et irritation. Vasia, son fils, veut s’éloigner de la maison parentale. Valek et Maroussia, enfants de pauvres gens, deviennent ses amis. Avec eux, il se sent parfois heureux et son père lui fait pitié…

Changement de destinée

Kira Mouratova


Une femme du monde tue son amant. Elle cherche à présenter ce crime comme un acte de légitime défense et cache ses relations réelles avec la victime, aussi bien à son mari qu’à son avocat. Celui-ci, au cours de l’enquête, scrute attentivement les circonstances de la tragédie…

Le syndrome asthénique

Kira Mouratova


Les deux héros du film ont une réaction diamétralement opposée à l’agression permanente qu’ils subissent de la société. La première, une veuve de cinquante ans, réagit en « cognant » à son tour ceux qui l’agressent. Le second, un enseignant d’une trentaine d’années, souffre de « syndrome asthénique » : sa tactique de fuite consiste à s’endormir chaque fois qu’on l’assaille, jusqu’à ce qu’il ne se réveille plus de ce sommeil irrésistible, dans l’indifférence générale.