Séance de cinéma élargi 1

ELICLIPSE - ENJEUX - SANS TITRE 84 - 29 10 88 INSTALLATION DE MILES MCKANE - RR - VO/ID - LIGNE D'EAU


mer. 23 mai 1990   20h30
ven. 25 mai 1990   20:30

Réalisation
Yann Beauvais
Pays
France
Année
1982
1984
1988
1989
Langue
sans dialogues
VO français
Durée
63'
Cycle

Focus Yann Beauvais

ELICLIPSE
1982
double écran, 18’

ELICLIPSE multiplie les points de vue sur Paris en recourant à un support de communication banale: la carte postale. 154 cartes postales furent coupées en bandes verticales et mélangées deux à deux. Le mélange des cartes s’est fait selon divers critères parmi lesquels on peut distinguer les suivants: politiques, plastiques, historiques, humoristiques et de colorations… Une fois les objets définis le film joue une improvisation plus ou moins préparée. (Y.B.)

ENJEUX
1984
simple écran 18 min

Ce film, lui aussi, reprend le travail entamé par ELICLIPSE. Au lieu de multiplier les objets, on s’est limité ici, en fonction de l’analyse des travaux précédents, à un seul objet: l’Arc de Triomphe. Parmi de nombreuses variations offertes, nous en avons sélectionné une trentaine qui furent découpées verticalement, horizontalement et diagonalement. Le film, très dense, ramassé, tente de façonner la perception au moyen de traitements cinématographiques spécifiques qui accumulent des informations contradictoires, divergentes et paradoxales. (Y.B.)

SANS TITRE 84
1984
triple écran, 14’

SANS TITRE 84 utilise des photos découpées en bandes verticales, horizontales et diagonales d’un objet haute-ment valorisé: l’Arc de Triomphe de Paris. Chaque photo n’a que peu d’intérêt, elle n’est que moment d’une série qui se dirige dans deux directions. La sérialisation des photos appelle le temps. La série façonne un temps qui subvertit la photo. Chaque photo des quatre séries (une autour de l’Arc: 24 positions de prises de vues respectant l’inscription au sol d’une étoile à 24 branches, les 3 autres allant vers l’Arc de trois avenues différentes), est banale, standardisée… Le mélange des vues (2 à 2) produit de nouveaux objets qui mettent en place des moments distincts dans la rotation autour de l’Arc. Ainsi des architectures sont-elles invoquées, convoquées dans leurs restitutions diffé-rentielles de l’objet initial. L’objet se perd dans son image deux fois doublée et se reconstitue démembré. A chaque fois que le « cher objet » s’approche au plus près de sa configuration perdue, l’autre réapparaît et heurte de son hétérogénéité la belle homogénéité refusée. (Y.B.)

29 10 88 INSTALLATION DE MILES MCKANE
1988
double écran, 6 min

Ce film met en scène côte à côte l’image en miroir d’une installation/performance de Miles McKane. Au lieu de faire un document sur l’évènement le film tente de restituer les dimensions spatiales de la pièce originale. Le mouvement des participants et les panoramiques reproduisent métaphoriquement l’élément de base de l’installation à savoir les cônes blancs. (Y.B.)

RR
1985
double écran, 4min

Deux écrans permettent ici de souligner le paradigme musical dans la mesure où quelque soit la position que l’on donne aux bobines (droite ou gauche) à la projection, on aura toujours affaire à un thème se développant simultanément avec son reflet. Développement en inversion du même thème que la musique a exploité. L’usage du miroir permet d’éviter la question de la réalité de la représentation. Celle-ci n’a pas d’importance puisque nous sommes dans le royaume du reflet, du simulacre. Impossibilité de déterminer, donc, qui est le reflet de quoi. Les deux images fonctionnent comme reflet l’une de l’autre dans un incessant va et vient qui répète, dans une certaine mesure le parcours que déploient les (faux) panoramiques constituant le film. (Y.B)

VO/ID
double écran, 7’

VO/ID juxtapose deux textes distincts, l’un en anglais, l’autre en français. Les textes interrogent l’art et le cinéma expérimental; le rôle du marché dans le façonnage des critères esthétiques, et la politique actuelle, le rapport entre l’université et le musée… Dans chacun des textes des mots usuels de l’autre langue surgissent, créant un flottement, presque un arrêt, une indétermination du mot à tel ou tel discours. Cette indétermination s’accroit par les nombreux jeux de mots créés entre les deux langues. Ce qui entraîne une lecture double: verticale et horizontale favorisée par le mot à mot. Deux sons viennent se greffer: Gilles Deleuze lisant Nietszche: Le voyageur et son ombre; et Mick Jagger chantant Cocksucker Blues. (Y.B.)

LIGNE D’EAU
1989, double écran, 8’

Passer d’un bord à l’autre, d’un écran à l’autre. Faire défiler latéralement par de faux mouvements, un bateau, un métro, d’un écran à l’autre. Jouer des deux écrans comme d’un clavier. A partir du même faire surgir les différences et les divergences. Jouer de la similarité pour faire voir les écarts, les dissonances d’une image à l’autre. Le déplacement des bateaux et des métros se conjugue aux mouvements d’appareils et au montage de séquences distinctes d’objets similaires. Ce montage sur un négatif se joue de son doublement – légèrement décalé – produisant ainsi une orchestration de mouvements, de déplacements; une fugue à plusieurs voix. (Y.B.)

 

Yann Beauvais

Né à Paris le 29 novembre 1953
Programmateur d’Adicinex à Paris en 1980 et 1981. Co-fonde avec Miles McKane
Light Cone: coopérative de distribution de films expérimentaux et de bandes vidéos en 1981. Co-fonde avec Miles McKane la revue de cinéma expérimental: Scratch en 1982. Programmateur de Scratch Projection depuis sa création en 1983.

 

EXTRAITS D’UN ENTRETIEN AVEC YANN BEAUVAIS

CC – Quelle définition pourrais-tu donner du cinéma « élargi »?
YB – C’est tout ce qui sort du caractère ordinaire de la projection. Il y a deux manières de l’appréhender: soit on fait appel à d’autres appareillages, ou à des individus, et il y a une performance qui s’effectue par rapport à l’écran; soit on met un, deux, trois, quatre, cinq, six, x écrans, et quelque chose s’effectue lors de la projection, qui n’est pas simplement le défilement: on peut mettre un ou deux appareils en synchronisme ou non. On pourrait dire que c’est ça le cinéma « élargi ». Mais il y a des milliers de possibilités de l’appréhender. En gros, je crois que c’est tout ce qui ne fait pas appel seulement à un écran, ou à un projecteur. Est-ce que ça signifie que quand tu passes un film plus des diapositives cela relève du cinéma « élargi »…Ça dépend peut-être aussi du projet… […] On ne dira pas « qu’est-ce que c’est le théatre », par exemple, ou « qu’est-ce que c’est la musique ». On pourra dire qu’il y a des types de musique, donc on pourra dire qu’il y a des types de cinéma « élargi ». Mais c’est assez en relation avec la performance, et je crois que ça a été d’une certaine manière l’une des choses qui a permis de sortir de l’art minimal, et permis à pas mal d’artistes conceptuels d’essayer d’aller ailleurs. A la fin des années soixante, pas mal de gens qui s’interrogeaient sur ce qu’était la spécifi-cité du médium cinéma sont passés à d’autres analyses. Ils mettaient en cause la projection, ce qui renouait aussi avec des pratiques comme celles d’Abel Gance ou de Laszlo Moholy-Nagy, ou d’autres gens dans les années vingt, sans pour autant qu’ils aient effectué un travail similaire. […]

Souvent on a l’impression que les double-écrans, ou le multi-média, ou le cinéma « élargi » est utilisé au moment où l’on questionne, où l’on dénonce ce qui a été fait auparavant. Mais on le dénonce par les bords, en montrant des limites, là où se situent ses pouvoirs de domination, Et je crois que ce n’est pas tellement un hasard si dans les années soixante il y a eu des rapports avec les performances, les happenings. Des artistes comme Yvonne Rainer ont commencé à faire appel à des films avec la danse. On dansait avec un film, la performance se servait du film. Des musiciens utilisaient des films expérimentaux comme un light-show, comme Brian Eno et le film de Malcolm Le Grice « Berliners » en 1970. Il y a pas mal de jeux comme ça. Ensuite ça retombe, ça redémarre autour des années 75 en Angleterre principalement. Il y a énormément de britanniques qui ont fait des travaux très intéressants là-dessus. Ça a été eux l’énorme vague du ciné-ma « élargi ». Ils ont questionné très fort la maîtrise du cinéma américain, le pourquoi du cinéma structurel américain et tous les processus qu’il dégageait. Ça re-tombe, début 80 c’est redécouvert par d’autres gens mais c’est toujours des petites vaguelettes comme ça. » (in Catherine Cormon, Le cinéma « élargi », mémoire de fin d’études, E.S.A.V. Genève, mai 1989.)

« Deux écrans dynamisent au moins deux bords d’images; ceux qui vont se côtoyer. Deux écrans mettent en scène, brutalement, une dialectique de la présence. Présence simultanée, retardée, différée, redoublée, homogène et hétérogène. Les deux écrans peuvent entrer en contradiction de diverses et de multiples manières pouvant occasionner des nouvelles chaines signifiantes ainsi que le soulèvement de problèmes esthétiques particuliers que d’aucuns ont pu appréhender en se servant du référent musical comme d’un paradigme. Lc regard circule, tissant des réseaux à la surface de la représentation, y sélectionnant des éléments ou des lignes de forces qui parfois le rabattent sur la globalité de l’image-composée. Mis en situation d’une potentialité temporelle au moyen de la spatialité. Renforcement des déplacements par l’assemblage du côtoiement de deux images (ou +) en formant une nouvelle. » (Y.B. in Scratch Projection Revue, Paris, décembre 86)

« En 1982, dans un entretien avec Elisabeth Son autour de son film Eliclipse, Beauvais parle d’une manière perspi-cace du rôle de la musique comme modèle et structure. A la question, pourquoi s’inspirer par des formes musicales, il répond: «La forme musicale est un prétexte, elle m’aide simple-ment à me comprendre sur la forme générale et même si j’emploie un langage ayant trait à la musique, je m’aperçois d’une impossibilité radicale entre le filmique et le musical. Du fait de la perception et de la composition même, autant le musical m’a aidé pour résoudre des problèmes rythmiques que je voulais dépasser tels qu’ils sont agencés habituellement, autant que je m’aperçois maintenant que l’analogie est improductive.» Sans titre 84 est soigneusement bâti. L’Arc de Triomphe, monument central et centralisant, a été photographié selon 24 axes déterminés par les 12 nies autour de la Place de l’Etoilc. Ces deux chiffres déterminent non seulement l’organisation du film mais suggèrent-toute une cosmogonie: chaque image a été coupée en 12 bandes, 5 parmi elles intercalées avec une autre prise de vue. 2 images x 6 bandes . 12 bandes. 12 bandes x 2 écrans = 24 bandes projetées à tout moment. Or, il se trouve que chaque seconde du cinéma nous apporte 24 photogrammes, qu’il y a 24 heures dans chaque jour, 12 mois dans l’année… Les rythmes auxquels se déroulent ces images sont ordonnées d’une manière analogue, extrêmement complexe. Le travail d’un fou„ ou d’un cinéaste expérimental. L’attention du spectateur est toutefois centrée sur «l’objet», objet qui bouge, dégringole, se désintègre. On glisse autour, on s’approche et on recule (parfois en même temps! grâce aux images contradictoires entrecoupées), on voit et on sent très bien l’orchestration et la re-composition de cet objet monumental. Avec Sans Titre 84, on entre carrément dans le jeu. On comprend qu’en agrandissant son cinéma, Yann Beauvais apprend à jouer. Jouer avec les idées qui l’inspirent, jouer un jeu, jouer de la musique. Le cinéaste sait se servir d’un cinéma-élargi pour véhiculer ses recherches structurelles, visuelles, musicales, ludiques. Il participe donc à cette tradition d’un cinéma formaliste qui interroge les processus de la perception du médium, mais en même temps il ouvre le champ au chant. Dans VO/ID, son film le plus récent, on rencontre le jeu verbal, le calembour (VO, version originale; ID en anglais = «Carte d’identité»). Mais serait-ce aussi un appel au sérieux? Un avertissement au spectateur, au cinéaste? Veut-il vider (void en anglais = «vide») ce cinéma élargi de sa légèreté? Film qui essaie de rompre le cadre, les cadres, film démesuré qu’un seul écran -qu’une seule langue ne saurait contenir. Un défi, un débordement. La fin du jeu? La musique, est-elle terminée? C’est sans doute un autre air qui commence… » (Deke Dusinberre in Yann Beauvais, Cinéma Musée du 29.1 au 2.2.86, Musée national d’art moderne, Centre Georges Pompidou, Paris)





Focus Yann Beauvais

CC – Quelle définition pourrais-tu donner du cinéma « élargi »?
YB – C’est tout ce qui sort du caractère ordinaire de la projection. Il y a deux manières de l’appréhender: soit on fait appel à d’autres appareillages, ou à des individus, et il y a une performance qui s’effectue par rapport à l’écran; soit on met un, deux, trois, quatre, cinq, six, x écrans, et quelque chose s’effectue lors de la projection, qui n’est pas simplement le défilement: on peut mettre un ou deux appareils en synchronisme ou non. On pourrait dire que c’est ça le cinéma « élargi ». Mais il y a des milliers de possibilités de l’appréhender. En gros, je crois que c’est tout ce qui ne fait pas appel seulement à un écran, ou à un projecteur. Est-ce que ça signifie que quand tu passes un film plus des diapositives cela relève du cinéma « élargi »…Ça dépend peut-être aussi du projet… […] On ne dira pas « qu’est-ce que c’est le théatre », par exemple, ou « qu’est-ce que c’est la musique ». On pourra dire qu’il y a des types de musique, donc on pourra dire qu’il y a des types de cinéma « élargi ». Mais c’est assez en relation avec la performance, et je crois que ça a été d’une certaine manière l’une des choses qui a permis de sortir de l’art minimal, et permis à pas mal d’artistes conceptuels d’essayer d’aller ailleurs. A la fin des années soixante, pas mal de gens qui s’interrogeaient sur ce qu’était la spécifi-cité du médium cinéma sont passés à d’autres analyses. Ils mettaient en cause la projection, ce qui renouait aussi avec des pratiques comme celles d’Abel Gance ou de Laszlo Moholy-Nagy, ou d’autres gens dans les années vingt, sans pour autant qu’ils aient effectué un travail similaire. […]

Souvent on a l’impression que les double-écrans, ou le multi-média, ou le cinéma « élargi » est utilisé au moment où l’on questionne, où l’on dénonce ce qui a été fait auparavant. Mais on le dénonce par les bords, en montrant des limites, là où se situent ses pouvoirs de domination, Et je crois que ce n’est pas tellement un hasard si dans les années soixante il y a eu des rapports avec les performances, les happenings. Des artistes comme Yvonne Rainer ont commencé à faire appel à des films avec la danse. On dansait avec un film, la performance se servait du film. Des musiciens utilisaient des films expérimentaux comme un light-show, comme Brian Eno et le film de Malcolm Le Grice « Berliners » en 1970. Il y a pas mal de jeux comme ça. Ensuite ça retombe, ça redémarre autour des années 75 en Angleterre principalement. Il y a énormément de britanniques qui ont fait des travaux très intéressants là-dessus. Ça a été eux l’énorme vague du ciné-ma « élargi ». Ils ont questionné très fort la maîtrise du cinéma américain, le pourquoi du cinéma structurel américain et tous les processus qu’il dégageait. Ça re-tombe, début 80 c’est redécouvert par d’autres gens mais c’est toujours des petites vaguelettes comme ça. » (in Catherine Cormon, Le cinéma « élargi », mémoire de fin d’études, E.S.A.V. Genève, mai 1989.)

« Deux écrans dynamisent au moins deux bords d’images; ceux qui vont se côtoyer. Deux écrans mettent en scène, brutalement, une dialectique de la présence. Présence simultanée, retardée, différée, redoublée, homogène et hétérogène. Les deux écrans peuvent entrer en contradiction de diverses et de multiples manières pouvant occasionner des nouvelles chaines signifiantes ainsi que le soulèvement de problèmes esthétiques particuliers que d’aucuns ont pu appréhender en se servant du référent musical comme d’un paradigme. Lc regard circule, tissant des réseaux à la surface de la représentation, y sélectionnant des éléments ou des lignes de forces qui parfois le rabattent sur la globalité de l’image-composée. Mis en situation d’une potentialité temporelle au moyen de la spatialité. Renforcement des déplacements par l’assemblage du côtoiement de deux images (ou +) en formant une nouvelle. » (Y.B. in Scratch Projection Revue, Paris, décembre 86)

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