L’Ange


dim. 4 nov. 1990   22h00

Réalisation
Patrick Bokanowski
Pays
France
Année
1982
Langue
VO français
Format
35mm
Durée
70'
Cycle

2 films de Patrick Bokanowski

L’Ange

A différents paliers, on découvre des scènes symboliques où les personnages semblent prisonniers de leur action et de leur propre folie.

L’homme au sabre, la servante à la cruche, l’homme au bain, un ballet de bibliothécaires, une femme dans «Le Château de l’Œuf» ; derrière des portes, des expériences d’optique de complexité croissante…

Attaques, explosions, recherche maniaque et désespérée, objets qui se déplacent d’eux-mêmes, murs, sols et plafonds qui se forment et se dispersent, des escaliers à pic conduisent peu à peu vers des zones de grande lumière…
Light cone





Deux films de Patrick Bokanowski

Au centre de la question après le visionnement d’un film de Patrick Bokanowski, une préoccupation: comment le cinéma peut-il devenir à ce point un instrument pour le viol de l’inconscient? Non pas le nôtre en premier lieu, mais celui-même créateur. Tout nous laisse croire qu’il est dans la salle, ici et maintenant, et qu’à l’aide de quelque procédé métaphysique, les images se gravant sur l’écran sont la manifestation directe de ses pulsions les plus instinctives. Mais sans doute faut-il aborder le problème à l’inverse, peut être ne s’agit-il pas de reproduction d’images mentales, mais d’une alchimie complexe où , au moyen d’une « science » pertinente, le réalisateur réussit à manifester le désir le plue profond de l’homme: celui de comprendre sa relation au quotidien, à la réalité. Une volonté tragique de trouver un sens qui, sans cesse, se voit déjoué par l’équilibre précaire de la réalité.

C’est évidement une quête classique, mais là où Bokanowski devient un maître, c’est dans la façon qu’il a d’aborder le sujet: c’est en amont du conscient qu’il a choisi d’intervenir, avant que ne paraissent les parasites de la convention, de la norme, avant que tous ces sens que l’on se complait à appliquer de façon systématique sur nos expériences perceptives, ne viennent troubler l’eau de notre mémoire. Il trouve à travers le cinéma, le moyen d’accéder à un niveau qui se situe juste entre la restitution d’une expérience, et cette expérience elle-même. Ce à quoi l’on assiste, c’est à une suite de transformations, de métamorphoses lentes et incontournables du perçu et du restitué. Les films de Bokanowski sont la manifestation de ces métamorphoses. Grace à un traitement expérimental de l’image, il répercute par le support, la complexité de sa quête. Nous entrons alors dans la logique du rêve, voir du cauchemar; les images se déroulent en s’enchainant, s’animant les unes les autres; c’est une impression, un sentiment ou une angoisse qu’elles illustrent: l’on assiste aux différentes formes que prend une obsession. Les scènes se succèdent, certaines se reproduisant toutes en étant différentes et l’on devine, en fin de compte, un,espoir secret qui tend à imaginer que grâce à chaque apport, les choses n’étant jamais vraiment les mêmes, le film viendra à bout de l’obsession, la fera disparaitre.

Ce qui se passe en réalité, c’est que R Bokanowski cherche à montrer les choses différemment. Sa recherche d’une « nouvelle image » devient, grâce a cette tension de l’esprit qui pousse vers l’inconnu, une expérience vécue, tangible et transmissible. En résumant, l’on pourrait dire que c’est parce qu’il expérimente sur l’image qu’il en transforme le contenu, qu’il en modifie le sens. Lorsqu’une table apparaît dans un film de Bokanowski, ça n’est pas ce qui classiquement, dans le langage du cinéma, pourrait répondre à notre attente: l’on sort du domaine du codifié et l’on perçoit alors ce que Bokanowski entend véritablement d’une table. La façon qu’il a de « vivre » ce meuble, impliquant l’impact de cet objet sur sa vie, tout ce qu’il contient en dehors du visuel; son interprétation en quelque sorte. Comme dans les grands films expressionnistes, le « décor » devient-le reflet de l’intérieur de l’âme, une sorte d’entité à laquelle l’homme se confronte chaque jour, y retrouvant l’écho de ses préoccupations.

Le langage cinématographique expérimental de Patrick Bokanowski réussit-à nous faire assister,non pas à une re-production de quelque archétype narratif, mais bien à la production même puisque ce qu’il nous montre est une obsession, un sentiment dans son entier; nous longeons un axe vertical, un spectacle de ce type n’a ni fin ni début et il devient impossible, de ce fait, de le « dater’. Lorsque Bokanowski décompose le mouvement du coureur dans « Le déjeuner du matin », il ne s’agit pas d’une course ayant un début et une fin, mais bien de la course elle même, sa nature ou son essence. Grâce à un montage très particulier, chaque scène vient en « appel » à ce qui suivra, de près ou de loin. Une cohérence impressionnante règne et aucune fausse note ne vient entraver le déroulement: on l’a déjà dit, nous sommes dans la logique du rêve où chaque vision, chaque image mentale,semble toujours avoir été là.
Patrick Bokanowski ne fait pas partie de ces cinéastes expérimentaux qui tendent à exprimer une idée, un concept. Bokanowski est un artiste de l’instinct, ce qui l’intéresse, c’est l’homme et ce qui fait qu’il ne sera jamais autre chose.

Jean-Christophe Pastor